QUE SERAIT AUJOURD'HUI UNE POLITIQUE ÉCONOMIQUE DE GAUCHE ?

CONGRÈS de VILLEURBANNE / ASSOCIATION NOVALLIA / CONTRIBUTION THÉMATIQUE.

E. Macron prétendait dépasser les notions de gauche et de droite, conduire une politique du “en même temps”, installer le FN puis les Insoumis comme opposants officiels et, d’une certaine façon faire disparaître le PS et l’UMP.
Mais peut-on se situer à la fois, en même temps, pour et contre la suppression de l’impôt sur la fortune, ou encore à la fois, en même temps, pour et contre les ordonnances Pénicaud, par exemple ?

Le clivage gauche / droite a-t-il disparu ? Ne faut-il pas clarifier le débat ?

En économie l’évocation du libéralisme constitue une entrée en matière pertinente. D’abord pour distinguer d’une part le libéralisme “sociétal”, à l’anglo-saxonne, qui libère les mœurs et les modes de pensée, et d’autre part le libéralisme économiquequi se fonde sur la foi en l’économie de marché, sur l’élimination de tous les obstacles au libre jeu de l’offre et de la demande.
Certes l’économie de marché a fait la démonstration de sa capacité à créer des richesses et de son efficacité pour réguler le fonctionnement des nombreux acteurs de l’économie.
Mais le libéralisme économique “naturel” a plusieurs effets problématiques : l’encouragement au profit individuel à court terme par rapport à l’intérêt collectif à long terme, l’utilisation sans contrepartie des richesses naturelles conduisant à leur épuisement par des mécanismes de développement “non durable”, une tendance à l’accumulation illimitée du capital, le creusement inexorable des inégalités sociales, ou encore son incapacité à fonctionner sans des services publics (éducation, sécurité, santé) qu’il ne finance pas naturellement.
Bien sûr tout peut se privatiser. Il suffit pour cela d’un État minimal qui rédige des cahiers des charges et organise des mises en concurrence.
Mais si l’on veut éviter les inconvénients et difficultés mentionnés ci-dessus il faut aller plus loin et dire dans quelle société on veut vivre.
C’est alors que réapparaît
le clivage gauche - droite.

La gauche n’accepte pas le creusement des inégalités. Elle n’accepte pas que les différences de situation sociale soient fondées sur autre chose que sur le mérite et sur la reconnaissance des aptitudes et capacités de chacun. Dans la confrontation capital / travail, qui structure le fonctionnement de nos économies, elle se trouve du côté des travailleurs. Certes elle aime les entreprises, lieu de création de richesses, mais elle veille à ce que soient respectées les règles qui garantissent l’intérêt général (droit du travail, santé, développement durable...) et que les richesses produites soient réparties de manière juste. Elle est attachée à la justice sociale et à la justice fiscale.

C’est bien là en effet que se séparent social-libéralisme et social-démocratie. Le socialisme n’étant pas un état mais une fonctionnalité c’est dans le respect de ces principes et de cesréférences que pour traiter chaque situation, pas toujours prévisible au moment d’une campagne présidentielle, les mesures doivent être élaborées.

Lorsque G. Schroeder, en Allemagne, applique les lois Hartz censée “moderniser” le marché de l’emploi, il accepte que la contrepartie de la “baisse” du chômage soit une augmentation considérable du nombre de travailleurs pauvres et précaires, avec donc un accroissement des inégalités et des exclusions sociales.

Lorsque F. Hollande crée le CICE en 2012, il soutient certes les entreprises installées en France et confrontées à la concurrence internationale mais, par cette mesure générale et sans contreparties, il soutient également, avec de l’argent public, les entreprises qui n’en ont pas besoin et celles qui l’utilisent pour augmenter leur profit et la rémunération du capital. Un dispositif d’aide massive à l’investissementde modernisation et d’innovation aurait probablement été plus pertinent.
Dans la période précédente, alors que N. Sarkozy subventionnait les heures supplémentaires, c’est à dire celles qui sont déjà les plus rémunératrices pour l’entreprise, avec des crédits publics empruntés sur les marchés financiers pour environ 5,5 milliards d’euros, l’Allemagne consacrait à peu près la même somme au financement du chômage partiel pendant quelques années, permettant ainsi à ses entreprises de traverser la crise sans disparaître tout en se préparant pour la reprise.
En France, au lieu de faire droit aux revendications du MEDEF via les lois Macron/El Khomri puis les ordonnances Pénicaud au nom de cette fameuse flexibilité qui, permettant aux entreprises de licencier plus facilement via la “négociation sociale”, ferait sauter les freins à l’embauche (sic ) (comme si ce n’était pas le carnet de commandes qui déclenchait le recrutement), on aurait mieux fait de mettre l’accent sur
le compte personnel d’activité (CPA) qui peut constituer un véritable instrument de conciliation entre l’accompagnement des nécessaires mutations économiques et la protection des travailleurs, là aussi “via la négociation sociale”. Et, pour aller plus loin dans ce sens, la concertation sociale puis le travail législatif auraient dû traiter la question du pouvoir dans l’entreprise et la participation des travailleurs aux décisions de gestion. L’occasion a été manquée, mais est-ce surprenant ?

En réalité l’orientation de droite des gouvernements d'E.Macron a été claire depuis le début et les lois de finances successives sont venues la concrétiser jusqu’à la caricature : suppression des emplois aidés, baisse des APL en invoquant une quasi loi du marché qui viendrait mécaniquement diminuer les loyers, suppression de l’ISF à hauteur de plus de 3 Mds €, suppression de la taxe d’habitation outil (certes imparfait mais perfectible) de financement des services publics locaux et du cadre de vie, compensation par une hausse de la CSG, impôt non progressif ainsi détourné de son objet, etc.

Notons au passage que le produit de l’ISF sur une année, jugé négligeable par nombre de commentateurs, aurait permis d’équiper pour l’accès à l'internet à très haut débit (THD) la majeure partie du territoire hors métropoles, qui n’est pas couverte par le jeu du marché concurrentiel des entreprises privées. Voilà bien une véritable occasion manquée à la fois d’aménager le territoire et de créer de la croissance économique porteuse d’emplois... et, en même temps (!), de lutter contre le sentiment d’abandon perçu sur certains territoires, souvent ruraux, où prospère le vote FN.

Bien sûr les services publics et la protection sociale ont un coût, mais ils constituent la contrepartie normale des impôts et des cotisations. Certes, même hors crise de la Covid-19, l’endettement de la France est excessif et cette situation devra tôt ou tard être assainie, sauf à accepter un risque d’étouffement économique, d’impuissance gouvernementale, voire de perte de souveraineté. Cela passe probablement, côté dépenses, par une analyse critique, toujours salutaire à condition qu’elle soit partagée, des services publics : quel périmètre, quelles missions, quelles modalités, quelle efficience, quels moyens ? Mais dans ce domaine les marges de manœuvre globales sont désormais très réduites, voire inexistantes en termes budgétaires. Et l’on sait bien, par exemple, que le transfert de l’assurance maladie vers le privé, à la mode américaine, produit une augmentation des dépenses de santé sans progrès sanitaire. Du côté des recettes la bonne réponse réside dans l’impôt progressif(et non simplement proportionnel) : une partie de nos concitoyens, tant mieux pour eux, bénéficient de revenus très importants et / ou de rentes fort confortables. La redistribution est à la fois un outil de relance de la machine économique, de ré-oxygénation de la puissance publique, et de justice sociale. D’autant que l’effet dynamisant sur l’économie ne manquerait pas de produire de nouvelles ressources pour les contribuables concernés.

S’agissant de la construction européenne, certes le grand marché existe mais, au fond, il pourrait fonctionner sans institutions supranationales, c’est d’ailleurs ce qu'auraient souhaité les Anglais.
Pour aller plus loin dans la solidarité source de prospérité, et historiquement garante de la paix sur notre continent, il faut avancer vers
l’Europe sociale et harmoniser les règles en matière de droit du travail et de protection sociale, en s’appuyant pour cela sur les partenaires sociaux organisés au niveau européen. Il s’agit bien de rendre la construction européenne acceptable par les citoyens européens (cf. Brexit, votes eurosceptiques...) en cessant de mettre en concurrence les travailleurs européens les uns contre les autres. Le dossier des travailleurs détachés est au cœur de cette problématique : ne pas remettre en cause une mobilité dont bénéficient les citoyens de tous les pays, dont les Français, respecter la formule de l’égalité de traitement pour tous les travailleurs sur un même territoire, et se donner les moyens de faire effectivement respecter les règles.
C’est dans doute aussi au niveau européen que doivent se renforcer et se coordonner les moyens et règles de contrôle social sur les grands investissements, afin de garantir leur acceptation collective et
le respect des impératifs de développement durable.

Enfin, pour illustrer le propos, sur deux évolutions récentes du contexte dans lequel se meuvent les acteurs de l’économie :

  • la constitution de grandes régions françaises et des métropoles, alliée au processus global de dérégulation et à la recentralisation des pouvoirs, contribue à éloigner les citoyens des lieux de décision. Cette situation favorise le court-circuit du pouvoir politique par la technostructure. Les inégalités et déséquilibres territoriaux peuvent s’y creuser plus facilement et les services publics s’y réduire dangereusement.

  • le développement du numérique dans tous les secteurs de l’économie : cela modifie les modalités d’action, flexibilise les processus et ouvre le champ des possibles. Pour autant les fondamentaux ​du rapport “capital / travail” et de la relation “producteur / consommateur”​ ne changent pas. Ils s’exercent simplement de façon différente et adaptée. On l’a vu, en son temps, dans le dossier des VTC : prétendre que les travailleurs reliés à une plate-forme, donneuse d’ordres et prescriptrice de règles pour la rémunération ou les modalités d’exercice, seraient “indépendants” relève de l’imposture. C’est d’ailleurs en s’organisent collectivement et en engageant une négociation collective sous le regard du gouvernement qu’ils ont, à l'époque, établi un rapport de forces avec les plates-formes et obtenu certaines premières avancées.

En matière économique c'est notamment sur la base des éléments présentés ci-dessus que peut se développer le débat, afin de dégager des points de convergence et rassembler la gauche de gouvernement, pour préparer l’avenir et retrouver la confiance de nos concitoyens.

La contribution en PDF

Signataire :

Jean Mallot

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