Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021
« Mal nommer les choses, jugeait Camus, c'est ajouter au malheur du monde. Ne pas nommer les choses, c'est nier notre humanité. »
Nous avons souvent considéré comme une question « mineure » la lutte contre les discriminations. Si le racisme est unanimement combattu certaines « questions » sont relayées au second plan. Au cours des vingt dernières années un néologisme est apparu pour qualifier certains de nos combats : « le sociétal ».
Que veut-on dire quand on parle de débat «sociétal» ? Il semble que l’on entende par là un débat qui porte sur, et souvent qui oppose, non pas des idées politiques proprement dites, pas non plus des faits scientifiques, mais des «conceptions» de la «société» en général. On pourrait dire aussi des questions de «mœurs» ou de «valeurs». On isole ainsi en croyant bien faire, dans le débat scientifique, social et politique qui agite une société, la divergence des conceptions de la société elle-même et finalement de la vie humaine (du bien et du mal). Or Hannah Arendt nous a enseigné qu'il fallait voir bien au-delà, que la banalité des propos et des actions ont parfois une attention bienveillante, de soumission à la norme. Camarades, l'intention n'est pas mauvaise, surtout en période de Congrès de vouloir « ménager » les sensibilités. Oui, isoler le « sociétal » des questions sociales pourrait alors avoir des ambitions pacifiques dans nos débats internes et auprès de nos partenaires de la gauche et de l'écologie. Or, nous l'avons constaté en 2013, l’isolement du «sociétal» n'est point à moyen terme pacificateur : notre société - tout comme notre parti - n'est ni apaisée ni mûre car elle fut trop longtemps infantilisée et essentialisée.
Nous entendons souvent ces penseurs oint par l’omniscience - sans doute tombée du Ciel - estimer que les sujets économiques, sociaux ou régaliens sont prioritaires. Camarades, la zemmourisation des esprits saupoudrée de patriarcat nous obligerait-elle à une hiérarchie dans nos combats ?
Jaurès le dénonçait : “Quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots.”
1. Social versus sociétal
Le social est donc devenu “sociétal” pour des questions sociales jugées subalternes par les grands chefs à plumes de l’Ordre établi : le chômage, ce serait social ; le droit de vote des étrangers, “sociétal”.
Sur quoi peut donc reposer une telle distinction ? Dans le camp du social, les thèmes de la redistribution, de la pauvreté, de la sécurité et de l'aide sociale ? Dans celui du sociétal, l'égalité entre les genres, la diversité, la lutte contre les discriminations ?
A vous de jouer au grand jeu de l’absurde, cher.E.s camarades :
- Le décret d'abolition de l'esclavage en France signé le 27 avril 1848 ? C’est social ou “sociétal”?
- La loi de 1905 sur la laïcité ? - Sociales ou “sociétales” ?
- Le divorce ? - Social ou “sociétal” ?
- La loi Halimi ? Sociale ou “sociétale” ?
- La loi Veil serait donc exclusivement “sociétale” ou sociale ?
- La loi Badinter, concernant l’abolition de la peine de mort ? Sociale ou “sociétale” ?
- La loi Taubira ouvrant le mariage au couple de même sexe ? Sociale ou “sociétale” ?
2. Les discriminations d’hier sont les stigmates du corps social d’aujourd’hui.
Le dit "sociétal" c’est l'oxygène du corps social, véhiculé par notre sang, celui du peuple Il traverse tout qu'on ne peut pas l'isoler ou l'opposer ou le hiérarchiser par rapport aux sujets économiques, sociaux, ou régaliens.
Les violences économiques, dont les chiffres montrent l’ampleur, sont un sujet récurrent du combat contre les discriminations : une femme, un migrant, une personne LGBTI+, un jeune Maghrébin ont plus de difficulté à trouver un emploi et à faire carrière, nous le savons.
Mais au delà, nous conviendrions savoir moins, parfois oublier, ou préférer ne pas savoir... qu'un être humain sur deux vit avec moins de deux dollars par jour, alors que jamais l'Humanité n'a produit autant de richesses.
Nous consentirions à comprendre le choix de certain.e.s à fuir pour un avenir. Et, nous penserions à la Déclaration de Durban faisant remarquer que la xénophobie, dont les migrants sont souvent les premières victimes, est l’une des grandes sources du racisme contemporain. Ces discriminations concernent des secteurs aussi divers que le logement, l'éducation, la santé, le travail ou la sécurité sociale.
L'universalisme – si cher au socialisme, racine même du socilisme –, c'est aussi penser à ces enfants – entre 6000 et 8000 qui meurent chaque jour par manque d'eau potable. 900 millions d'êtres humains qui meurent de faim.
Nous avons un devoir d'indignation car cela devient plus complexe d'affirmer en parallèle qu'en tant que socialistes nous sommes universalistes, progressistes et ouverts.
Notre pensée politique s'est concentrée au 20 XXe siècle sur la valeur travail, sur la relation entre les systèmes économiques et la condition humaine. La fatigue d'être soi remontant à la seconde révolution industrielle. Aujourd'hui, Alain Ehrenberg dénonce la violence du travail, la civilisation du changement stimulant une attention massive à la souffrance psychologique. La fatigue d'être soi-même. Le darwinisme triomphant contre la banalité de l'Etre.
Nous en sommes aujourd'hui selon Jéremy Rifkin à la quatrième révolution, celle du numérique et de l'écologie. L'information révolutionne tout. Ce fut notre opium et notre miroir. Mais aujourd'hui... si l'on regarde de l'autre côté de ce miroir, la révolution numérique et les réseaux sociaux encouragent l'enfermement dans ses croyances, des bulles algorithmiques nous enfermant avec nos semblables, renforçant nos préjugés. Une fabrique de fake news et de crétins planétaire.
Dans un monde multilatéral, où la géopolitique nous enseigne que nos acquis démocratiques sont menacés pour des raisons économiques et idéologiques, les engagé.e.s de la gauche et de l'écologie ont un devoir de transmettre et de combattre.
Transmettre d'abord fièrement notre histoire, et en premier lieu les héros politiques qui ont bâti l'édifice de la patrie des Lumières. Nous sommes les héritiers de Bartholdi, offrant la Liberté guidant le monde. Et des Lumières, face à l'obscurantisme et au fanatisme religieux, nous avons un besoin urgent et accessible à tous.
Au sein de notre parti, nous avons aussi un devoir de mémoire et un devoir d'inventaire. Se souvenir déjà, de toutes nos avancées pour promouvoir une égalité réelle -équité – entre les citoyen.e.s. Un devoir d'inventaire, assumer en nos rangs le passé colonialiste de la France et en responsabilité dès 2022, proposer des actions.
Mais nous devons au-delà, être vigilant.e.s aux effets d'annonces, à l'instar du gouvernement Macron avec des plans et des priorités annoncées non suivi d’effets, pour en faire une priorité quinquennale.
L'égalité réelle passera par une réelle applicabilité de la loi, avec un suivi rigoureux de nos parlementaires, une attention particulière sur les impacts et au-delà : une réforme accélérée de la haute fonction publique pour transformer lesdites politiques publiques.
Une personne sur dix a déclaré avoir été discriminée en France mais seuls 12% ont porté plainte. Nous le savons, ving cinq critères de discriminations sont aujourd'hui en France, retenus : l’apparence physique, l’âge, l’état de santé, l’appartenance ou non à une prétendue race, l’appartenance ou non à une nation, le sexe, l’identité de genre, l’orientation sexuelle, la grossesse, le handicap, l’origine, la religion, la domiciliation bancaire, les opinions politiques, les opinions philosophiques, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, les mœurs, le patronyme, les activités syndicales, le lieu de résidence, l’appartenance ou non à une ethnie, la perte d’autonomie, la capacité à s’exprimer dans une langue étrangère, la vulnérabilité résultant de sa situation économique.
Nous le savons, de nombreux concitoyen.n.e.s ont été confronté à ces injustices. Nous ne pouvons pas désirer un ordre juste, un idéal universel sans en faire une priorité.
Bourdieu, l'avait constaté il y des années, nous ne disposons pas tous du même capital culturel. Nous – engagé.e.s de la gauche et de l'écologie, nous sommes les héritiers de Jaurès, pas du capital. Et nous devons préparer l'avenir, et combattre les discriminations au sein de l'école pour ne plus reproduire des inégalités avec des codes d'enseignement qui ne sont pas favorables aux classes les plus défavorisées. Nous devons élever chaque enfant de France avec des filières d'excellence. Les enfants de la ruralité, des quartiers politiques de la ville sont en majorité défavorisés en raison de leur origine.
Aujourd'hui nous devons réenchanter l'avenir et nous réclamer de nos héros comme Aymé Césaire qui déclarait lors d'un meeting à Fort de France que « le racisme, au niveau de l'idée, est une stupidité et du point de vue de la morale, une barbarie. Pour tout le monde, c'est un risque de catastrophe».
3. Face à l'obscurantisme, n'ayons pas peur !
Depuis 2001, le monde a changé et nos libertés individuelles sont menacées au nom de la sécurité. Les attentats de Charlie Hebdo ont été un tournant et malheureusement, la société s'est davantage fractionnée. Entre attentats et crise sanitaire, surgit le spectre de la peur auprès des concitoyen.nes
Engagé.e.s, ne laissons pas la peur dicter nos projets politiques.
Le printemps de la gauche luttera contre toutes formes de discriminations et nous veillerons également à ne pas stigmatiser les croyant.e.s.
La spécificité française de la laïcité est de laisser chacun.e libre de croire ou de ne pas croire, et de changer de foi.
Seules les sciences et l'éducation viendront à bout des obscurantistes qui s'abreuvent du désert culturel.
Oui, la peur la plus élémentaire, la plus animale est donc la peur de... l'inconnu. Cette peur recule au fur et à mesure que le monde réel est connu, maîtrisé, intellectualisé ou que l'on s'imagine le connaître, le maîtriser.
Ce sont surtout les oppositions culturelles qui révèlent le racisme et l’antisémitisme. Toute culture implique un mode de vie, un système de référence. Le racisme et l’antisémitisme s'enracinent dans l'inconscient pour des motifs qui tiennent à l'histoire affective de l'individu.
Gardons-nous donc de verser dans l'utopie. Tout autant que nier l'évidence, il est vain d'espérer la disparition du racisme et de l’antisémitisme. Il faut au contraire compter avec la menace constante qu'il fait peser sur le monde. C'est un combat permanent.
Face au danger, ne lâchons rien. Non seulement en dénonçant devant l'opinion tous les faits de racisme, si mineurs soient-ils mais également par une mobilisation des esprits, une vigilance de tout instant, un effort personnel continu.
4. Arbitrons et assumons notre position
Aujourd'hui, nous pouvons choisir d'éviter le duel Macron/Le pen en arborant fièrement un désir de fraternité et d'ouverture. Aux éléments de langages ne faisant plus leur effet, déclarons notre projet.
Trois chantiers sont à développer :
- Le premier est de permettre aux chercheur.e.s en charge d'étudier les phénomènes de discriminations, de disposer de crédits et d'outils suffisants pour dénoncer les discriminations à l'embauche, les inégalités salariales, les plafonds de verre pour les Hommes et les femmes, les minorités religieuses et les personnes LGBTI+.
- Le deuxième concerne une transversalité au sein de nos instances, à tout niveau : tout comme la parité, nous devons garantir à toutes les minorités d'être représentées et de prendre des responsabilités dans nos instances et dans les assemblées. Et de présider, d'être en charge de vrais délégations, pas celles trop souvent dénuées de substance.
- Le troisième est de permettre à chacun.e de participer à la vie démocratique, et garantir le vote des étrangers ( hors communauté européenne ) aux élections locales. En cette période, la main tendue et la confiance sont la meilleure des réponses.
5. Défendons l'Europe contre les discriminations
C'est pour combattre le racisme et l’antisémitisme que l'Europe est née après la seconde guerre mondiale pour empêcher le retour des conflits séculaires, en particulier entre la France et l'Allemagne, ainsi que toute forme de résurgence du fascisme et du nazisme et donc de maintenir la paix.
En 2022, la France présidera le conseil de l'Europe pour une durée de six mois à compter du 1er janvier. Nous ne reviendrons pas sur le manque de préparation, le calendrier électoral mettant en difficultés la réussite de cette mission mais il s'agit pour nous, engagé.e.s de la gauche et écologistes – d'exiger des positions claires au delà des déclarations d'Ursula Von der Layen pour sanctionner les états d'avoir une législation discriminante envers les minorités ethniques, religieuses et les personnes LGBTI+.
Socialistes, nous devons également songer à encourager les axes de développement autour de l'euro-méditerranée en encourageant les collaborations culturelles comme Strasbourg-méditerranée. Nous devons nous réclamer de la Cour européenne des Droits de l'Homme et du Conseil de l'Europe.
Socialistes, nous devons nous investir pleinement au sein du Parti Socialiste Européen pour combattre toute.s les discriminations et demander l'exclusion ou la sanction d'états qui ne respectent pas les droits humains, notamment pour les minorités ethniques et les personnes LGBTI+.
Enfin, Rêvons l’avenir : les crises actuelles sont une opportunité pour nous réinventer, nous réenchanter. Lutter pour un société de l'égalité réelle sera le logiciel du socialisme du 21ème siècle.
Et proclamons notre devise républicaine :
LIBERTE EGALITE FRATERNITE LAICITE
Conclusion
En conclusion, cette contribution a pour objet d’affirmer des principes et d’ouvrir le débat au sein de notre famille politique.
Signataires :
Myriam El Yassa, Secrétaire national du Parti socialiste chargé de la lutte contre les discriminations
Corinne Narrassiguin, numéro 2 du PS - secrétaire national à la coordination et aux moyens du parti socialiste – ancienne député de NYC
Hélène Conway-Mouret, Sénatrice des Français établis hors de France, ancienne Ministre chargée des Français de l’étranger, ancienne Vice-Présidente du Sénat. Secrétaire nationale du Parti socialiste chargée de la protection des Français·e·s et de la Nation. Directrice du secteur international de la Fondation Jean Jaurès.
Luc Carvounas, Secrétaire national du Parti socialiste chargé de la transition écologique, Maire d’Alfortville, Vice-président de la métropole du Grand Paris – ancien député
Isabelle Santiago, Députée du Val de Marne, PS 94
Dieynaba Diop, Porte parole du Parti socialiste, Maire-adjointe les mureaux, BN
Fabrice de Comarmond, Secrétaire national du Parti socialiste chargé de la transition numérique
Christine Pirès Beaune, Secrétaire national au budget et à la fiscalité, Députée du Puy de Dôme
Vincent Duchaussoy, Secrétaire national au travail et au dialogue social, Conseiller municipal de Déville lès Rouen, PS 76
Samira Laal, Secrétaire nationale adjointe en charge du handicap
Yannick Trigance, Secrétaire national en charge de l’éducation, Conseiller municipale et d’agglomération, CN
Olivier Jacquin, Secrétaire national aux mobilités et aux transports, Sénateur de Meurthe et Moselle,
Fatima Yadani, Secrétaire nationale adjointe en charge des fédérations, BN
Nicolas Masuez, Docteur en Histoire des religions et anthropologie religieuse, chercheur associé à l’Institut de Recherche pour l’Études des Religions Sorbonne Université, trésorier fédéral PS 71.
Mathieu Cahn, Conseiller départemental du Bas-Rhin, PS 67
Stéphane Troussel, Secrétaire national à la santé et aux solidarités, Conseiller municipal, Conseiller communautaire, Président du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis
Joan Charras Sancho, Docteure en théologie, animatrice d’un groupe de réflexion sur les questions LGBT à la paroisse Saint-Guillaume à Strasbourg
Jean-Sébastien Leuba, Membre de la commission nationale de contrôle financier - PS 25
Sarah Vidal, Maire-adjointe, Conseillère départementale - CN - PS 12
Richard Sancho Andréo, Militant associatif - PS 67
Gabriel Derais - Responsable HES Strasbourg - CF, PS 67
Lennie Nicollet - Président d’HES France, Conseiller municipal délégué de Romainville - PS 93
Nicolas Bodin, Vice président Grand Besançon métropole, PS 25
Florian Bohême, Cambodge SF communication - Porte parole de la FFE PS
Pierre Gainet, Ancien secrétaire de section, PS 25
Jonathan Kienzlen, Premier secrétaire fédéral PS 94, Conseiller régional, membre de ECVF (élus contre les violences faites aux femmes)
Teddy Beneteau De Laprairie, CA de Besançon, PS 25
Olivier Boisson, Militant, PS 93
Khaled Cid, Militant, PS 25
Estelle Fraass, Ancienne élue à Bischheim, PS 67
Thierry Goguel d’Allondans, Anthropologue, Rédacteur en chef de la revue Cultures & Sociétés aux éditions l’Harmatan, société civile.
Gilles Rondot, Plasticien et scénographe, société civile.
Yannick Luzuaki, Ancien migrant, major de la Haute Ecole des Arts du Rhin, Artiste peintre, société civile.
Morrade Hakkar, Champion d'Europe Boxe poids moyens (2002 et 2005), société civile