Commission nationale entreprises - Travail, le monde de demain


Thème : Travail, le monde de demain


Il ne s’agit pas simplement, ici, de prolonger un débat qui n’a déjà que trop duré, à propos de « travail » ou d'« allocation », mais bien de s’interroger au préalable, pour en tirer toutes les conséquences que ce soit en termes d’organisation mais surtout de projet dont nous devons être porteurs, sur la métamorphose du processus même de « travail », au sens le plus large du terme. Du fait de l’apparition des nouvelles technologies : numérique, IA... et de l’usage non régulé qui en est fait par des sociétés mondialement organisées, les GAFA essentiellement. Faut-il simplement rappeler les conséquences, en termes économiques mais aussi politiques et sociétaux, de l’irruption du « machinisme », fondement de la révolution industrielle et probablement le seul bouleversement qui soit comparable à ce que nous vivons aujourd’hui ?

 

1. Submersion par le numérique et métamorphose du processus de production – Et bien au-delà...

Tous les secteurs de l’activité humaine se trouvent confrontés au développement cataclysmique des technologies numériques ; avec une mise en cause de la place de l’homme dans les processus concernés. Allant jusqu’à la disparition d’un grand nombre de métiers contre l’apparition de nouveaux , spécialisés, en nombre beaucoup plus restreint.

Disparition d’un nombre considérable d’intervenants humains s’accompagnant du changement du profil des fonctions rémanentes, marquées particulièrement par des exigences au niveau des formations requises, et qui correspondent à ce qui n’est pas encore accessible aux automates. Au moins provisoirement ... Dans le même temps, des besoins considérables dans des domaines sociétaux (santé ; grand âge...) restent non pourvus faute de moyens mise à leur disposition du fait d’une absence de prise en compte collective et de la capacité consécutive d’assurer leur attractivité sociale.

Pour ceux qui peuvent continuer d’exercer une fonction, les conditions de leurs interventions subissent également de profondes mutations : conditions de travail - horaires ; télétravail... - et donc remise en cause de la vie au travail pouvant aller jusqu’à l’altération profonde du statut même du travailleur (cf. infra). Avec bien autres effets : une explication, même si ce n’est pas la seule, de l’affaiblissement et de la perte d’influence des organisations syndicales ne doit -elle pas aussi être recherchée dans l’appauvrissement des relations et des échanges sur le lieu de l’activité ? Pour ne pas parler de ce qui en est des organisations politiques...

Le tout sur fond de généralisation de l’écran, qui devient progressivement l’intermédiaire obligé des échanges entre personnes, jusqu’au au sein de l’entreprise. Avec l’expansion concomitante des « réseaux », raz-de-marée non régulé, et de ce fait non maitrisé, d’informations brutes non-contrôlées, remplaçant progressivement l’élaboration collective à laquelle s’appliquaient les organisations qu’elles soient syndicales ou politiques.

 

2. Sur des conséquences d’ores et déjà constatables

Une des conséquences les plus dommageables de cette révolution en cours, insuffisamment prise en compte et analysée, est l’évolution résultante de la relation contractuelle en milieu professionnel.

Même si le CDI représente encore 90 % des contrats de travail, on assiste, en effet, pour ceux qui ont encore la chance d’accéder au travail, à un glissement progressif du contrat de travail vers le contrat de service, sous diverses modalités, avec disparition du lien de subordination constitutif d’une relation salariale. Au profit (c’est le cas de le dire !) des formes nouvelles d’emprise sur la force de travail - autoentreprise agissant en sous-traitance ; uberisation... - ; mais surtout avec les conséquences induites pour les travailleurs, au niveau de leurs conditions de vie (rémunération non-garantie, sécurité de l’emploi remise en cause...) ainsi bien sûr que sur leurs trajectoires professionnelles aléatoires (retraites retardées et d’un montant de plus en plus réduit...).

Il devient donc de reconsidérer les aspirations des salariés eux-mêmes dans leur relation au travail. L’exigence de l’utilité sociale et humaine du travail devient pour les nouvelles générations une aspiration fondamentale. Ces générations sont vigilantes quant à l’application par l’entreprise des devoirs en termes de responsabilité sociale et sociétale. De même, l’équilibre entre vies professionnelle et personnelle est bien souvent mise au premier plan. Cet équilibre diffère d’ailleurs naturellement suivant les vies de chacune et chacun. Nous devrons savoir rester à l’écoute des besoins et des attentes des salariés.

 

3. En ce qui concerne l’entreprise

Il s’agit donc, à l’occasion d’une remise en cause et en perspective du mouvement « populaire », d’interroger le rôle et la fonction de l’entreprise –ainsi que son organisation, et son fonctionnement - dans notre société, et leurs conséquences.

Pour nous, l’entreprise reste une entité dans laquelle la valeur ajoutée est le résultat de l’apport de capitaux par les actionnaires et du travail fourni par les salariés. Il faut donc rompre avec le système actuel qui donne tout pouvoir aux actionnaires et modifier radicalement le mode de gouvernance de l’entreprise et le partage de la valeur ajoutée. C’est le seul moyen de garantir la mise en œuvre effective de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE), de privilégier sa gestion à long terme et d’assurer la protection des intérêts tant des salariés que même des actionnaires. On ne saurait considérer que la gouvernance de l’entreprise se résume à maximiser les profits du seul actionnariat - surtout quand celui-ci, « anonymisé » à outrance, privilégie le très court terme et donc le nomadisme-. La force de travail a son mot à dire dans les décisions stratégiques, porteuse qu’elle est et de la connaissance pratique du processus de création de richesse et d’une volonté, elle, de pérennité l’entreprise.

Ceci pose immédiatement le problème de la composition des organes de gouvernance . Le conseil d’administration devra être composé de membres désignés par les actionnaires mais aussi par les travailleurs, à l’instar de ce qui a été fait dans les entreprises publiques, à l’occasion de la Loi DSP et dans la continuité des lois Auroux ; la proportion définitive de l’une et de l’autre des représentations devant faire l’objet d’un débat au niveau national. Nous sommes favorables à un équilibre entre les deux représentations, celle des salariés et celles des actionnaires s’inspirant également du modèle social rhénan. Quoi qu’il en soit, les principales décisions qui engagent l’entreprise devront faire l’objet d’un accord formel du comité social et économique (CSE) : orientations stratégiques, répartition des bénéfices, désignation des dirigeants, fusions, acquisitions, etc...

De ce fait et pour accompagner le rôle nouveau qu’il faudra octroyer à la représentation du personnel , et en ce qui nous concerne, il conviendra de repenser notre relation au monde du travail . Avec une question rémanente, et qui est loin d’être subalterne si les réponses que le mouvement populaire y a apportées ont pu varier dans le temps : quid du rôle spécifique d’une présence politique dans l’entreprise ? (Ce que l’on appelait les « cellules » ou les « sections » d’entreprise) Aux côtés de celle des organisations syndicales qu’il ne s’agit bien entendu pas de remettre en cause mais tout au contraire de complémenter, au-delà de la seule défense des intérêts des dits travailleurs ? Quelles autres initiatives sont à prendre, en ce qui nous concerne directement, que ce soit au niveau des structures à envisager et mettre en place, centralisées ou territorialisées (commissions ; instances...) qu’à celui de l’accueil et de l’encadrement des militants, présents dans la réalité du terrain ?

Avec le pouvoir il y a la responsabilité. D'une façon plus générale, la mise en pratique de la responsabilité sociétale et environnementale de l'entreprise (RSE) (et le devoir de vigilance qui en fait partie) ne doit plus rester théorique mais devenir obligatoire, avec les sanctions légales en cas de manquement, ce qui est loin d’être le cas. Il faudrait permettre, par exemple, d’interroger et peu à peu d’interdire certaines activités entrepreneuriales extrêmement polluantes ou dégradantes pour l’environnement (exploitation du gaz de schiste, fabrication de véhicules démesurés, confection de vêtements par des enfants surexploités,...). Il faudrait ainsi renforcer la qualité de vie au travail , l’équilibre vie privée-vie professionnelle, valoriser le sens éthique de l’entreprise notamment sur le développement durable et l’urgence de la transition écologique.

 

4. Le rôle de l’État

Cette problématique réinstitue l’État dans ces rôles que l’on n’aurait jamais dû lui laisser abandonner ! L’État dont on ne saurait borner le rôle à collecter, répartir et distribuer l’allocation !

L’État Régalien bien sûr, à qui il revient de conforter la place de la France dans l’Europe et dans le monde. Dans la construction de l’Europe, qui reste donc à repenser de fond en comble ; et au-delà, dans la représentation au sein des institutions susceptibles de peser lourdement sur son devenir (OMC, FAO, FMI, traités divers...) à travers celui de ses entreprises. Car rien n’est envisageable bien sûr, dans ce domaine comme dans bien d’autres, si la démarche n’était pas prise en compte au niveau pertinent : le niveau international, mondial. À cet égard, la puissance et la solidarité européennes, dans tous les secteurs de l’économie sans exception, doivent nous servir pour fixer un cap pour notre action déterminée.

Mais aussi l’État Régulateur qui aura tout d’abord à repenser justement le cadre de l’activité économique et à le mettre en place dans le contexte de production, notamment pour les biens et les services stratégiques comme l’énergie et la santé.

Et l’État Planificateur qui aura tout d’abord à repenser le développement dans une perspective stratégique, comme il a su le faire en d’autres temps ; et soucieux, dans les domaines de son ressort, de promouvoir un environnement favorable au développement des dites entreprises (aménagement du territoire ; transports... mais aussi, surtout, formation...). « Environnement » devant s’entendre au sens le plus large (développement durable, lutte contre le réchauffement climatique, la pollution généralisée, pour maintenir la biodiversité...). Ce rôle devant aussi être joué sur le théâtre européen : faut-il seulement rappeler les succès que représentent Airbus ou Ariane ? Ils sont suffisamment rares pour que chacun les aient en mémoire.

Et bien sûr, mais comment pourrait-on l’oublier quand l’Entreprise est au cœur du problème, l’État Actionnaire enfin, ou plus généralement l’État intervenant, agent économique direct ? Il faut sans tarder redynamiser le Secteur nationalisé, notamment dans le secteur crucial de l’énergie ! Les outils à mettre en place pour organiser cette fonction comprennent les services d’un Commissariat au Plan (planification réelle ; organisation forte de la représentation de l’État dans les instances économiques auxquelles il participe, dans un soucis de mise en cohérence globale...) .

 

5. Que faire ?

Il ne saurait être question que de ne proposer que quelques amendements à ce qui nous a servi jusqu’à maintenant de projet pour ne pas dire de programme tant les mutations de la société auxquelles nous sommes confrontés sont fondamentales et rapides. Le présent texte ne vise qu’à être l’ébauche d’une réflexion qu’il reste à mener à son terme . Ce devrait être au cœur du processus de reconstruction qu’il nous reste à mener avec l’ensemble de la gauche , encore si éparpillée. Il s’agira, comme indiqué dans ce qui précède, à partir de l’analyse menée à son terme du Monde d’Après, de rebâtir un projet politique, socialiste et écologique, et l’outil pour espérer voir aboutir ce dernier. Ce sera la seule manière de faire front aux impératifs de la crise climatique. Il n’y a pas d’avenir sans révolution écologique mais il n’y a pas d’écologie qui ne soit socialiste, pour ne pas être punitive !

Les partis « traditionnels » de gouvernement seraient à l’agonie, au moins aux yeux de la majorité de nos concitoyens, dans leur incapacité à remplir ce qui avait été si longtemps leur rôle : définir une perspective politique mais surtout en mettre en œuvre les conditions de réalisation dès lors que le scrutin leur avait confié les responsabilités du pouvoir ; et surtout rester porteurs, spécialement dans ces phases, des aspirations et des attentes de ceux qu’ils ont vocation de représenter ! Un modèle alternatif radical et populiste est souvent mis en parallèle, comme en compétition, un peu partout dans le monde. Un peu rapidement ! Et peut-on penser, raisonnablement, que les solutions à trouver, collectivement, se dégageront spontanément des réseaux dits « sociaux » ? On a ainsi coutume d’opposer la prétendue créativité spontanée des moyens modernes ou nouveaux d’échanges, plutôt souvent porteurs de haine et de fausses nouvelles, à ce qui serait devenu la stérilité des organisations politiques traditionnelles... Encore faudrait-il que ces solutions soi-disant modernes ne se bornent pas à accumuler et entasser un nombre non maitrisable de prises de position sans l’ébauche de la moindre structuration rationnelle. Il ne s’agit pas de confondre élaboration politique et traitement du « big-data » pour élaborer des tendances : il manquerait toujours l’élaboration raisonnée des solutions à rechercher. Le rôle dévolu historiquement aux partis, en quelque sorte , à « l’intellectuel collectif » ? Contre la déréliction paradoxale du citoyen « moderne », abreuvé mais surtout noyé dans l’information, il nous faut donc réinventer l’outil collectif approprié, dans sa fonction comme dans son fonctionnement. Mettre fin en quelque sorte à une forme « d’ubérisation» du politique !

Mais quiconque s’est confronté au travail de terrain , que ce soit à l’occasion d’une campagne – et quoi de plus « local » ! - ou qui a tenté tout bonnement, dernièrement, de réunir ce qu’il reste de militants dans nos sections dans les territoires, celui-là peut-il croire encore que nos organisations politiques restent adaptées dans leurs formes actuelles ? Nous pensons qu’il est temps de d’avancer vers les objectifs de rénovation que nous venons d’esquisser.


Pour le Bureau de la CNE : Jean-Marie Mariani , Anne Le Moal, Charles Cala, Patrick Ardoin, Marcel Villeneuve, Elisabeth Humbert-Dorfmüller, Patrick Ducome, Rémi Aufrère- Privel, Christian Vely, Yves Beguin, Rémi Thomas, Arnaud Delcourte, Alain Ternot, Pierre Sztulman, Brahim Messaouden, Olivier Sabin,

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