Coupe du Monde de football : un autre modèle est possible

– Mercredi 11 octobre 2023

Maxime Sauvage, secrétaire national aux Sports et aux Grands événements sportifs,
et la Commission nationale sports

Le 4 octobre dernier, le Conseil de la FIFA a retenu la candidature conjointe de l’Espagne, du Maroc et du Portugal comme seul dossier en lice pour accueillir la 24ème édition de la Coupe du Monde de football masculin en 2030. Si la décision définitive concernant le choix des pays organisateurs relève du Congrès de la FIFA, qui se tiendra l’année prochaine, la gouvernance toute pyramidale de la fédération sportive internationale du football permet d’ores et déjà d’affirmer que le scénario présenté il y a quelques jours sera retenu.

Au-delà du choix de la candidature conjointe des trois pays cités plus haut, la FIFA a décidé de célébrer le centenaire de la Coupe du Monde de football masculin, en permettant à l’Uruguay, l’Argentine et le Paraguay d’accueillir chacun un match de la compétition.

Aussi, la Coupe du Monde de football masculin 2030 se déroulera dans six pays et sur trois continents pour la première fois de son histoire. Elle sera également la deuxième édition, après celle de 2026 en Amérique du Nord, réunissant quarante-huit équipes et accueillant cent-quatre rencontres.

Maroc : une sixième tentative qui aboutit enfin

Dans les annonces du Conseil de la FIFA du 4 octobre dernier, le choix d’une candidature commune réunissant l’Espagne, le Maroc et le Portugal est à saluer, dans un contexte où le continent africain n’a à ce jour accueilli qu’une seule édition de la Coupe du Monde de football masculin (en 2010 en Afrique du Sud) et où le Maroc, pays de football, avait échoué à être retenu comme pays hôte lors de ses cinq tentatives précédentes.

Par ailleurs, ces trois pays, bien que sur deux continents, ont une réelle proximité géographique. Si les villes de Madrid et Rabat se situent à 1 000 km l’une de l’autre, n’oublions pas que les villes de Vancouver et Mexico, qui accueilleront des matchs de l’édition 2026, sont séparées de près de 5 000 km.

Gigantisme et cupidité : les deux boussoles de la FIFA

En revanche, le choix de maintenir une Coupe du Monde de football masculin à quarante-huit équipes et cent-quatre matchs, format qui sera inauguré en 2026, est une nouvelle preuve de la course au gigantisme impulsée par la FIFA.

Un petit retour en arrière permet d’illustrer cette inflation de rencontres. Entre 1930 et 1978, la Coupe du Monde de football masculin a réuni entre treize et seize équipes et entre dix-sept et trente-huit rencontres. Puis entre 1982 et 1994, le nombre d’équipes qualifiées est passé à vingt-quatre pour cinquante-deux matchs ; pour parvenir à trente-deux équipes qualifiées entre 1998 et 2022 et soixante-quatre matchs.

Si la montée en puissance du format de la compétition a initialement pu s’expliquer par la progression de sa popularité et de sa pratique partout dans le monde, elle est aujourd’hui le symptôme d’une dérive cupide sans limite ou presque de la FIFA. Cette dérive se retrouve d’ailleurs également dans la refonte de la Coupe du monde des clubs masculins, qui passera d’un format à sept équipes en 2023 à un format à trente-deux équipes en 2025.

Cette course au gigantisme, et aux recettes financières supplémentaires, tirés par les droits TV, sacrifie ceux qui constituent pourtant le cœur du football : ses joueurs (premiers concernés, jamais consultés) et leur santé, avec des calendriers de plus en plus lourds. En outre, ces compétitions de plus en plus complexes à organiser finissent par n’être accessibles qu’à une petite poignée de pays riches, de plus en plus contraints de présenter des candidatures communes pour renforcer l’acceptabilité de leurs candidatures.

Enfin, ce format méprise une fois de plus les supporters qui seront obligés de dépenser davantage pour suivre leur équipe et vivre leur passion : transport sur de longues distances et nuitées d’hébergement plus nombreuses (la compétition pourrait passer de quatre semaines à cinq semaines et demie) en sont deux exemples.

La célébration du centenaire de la compétition : un prétexte pour 2034 ?

Parmi les annonces du Conseil de la FIFA du 4 octobre dernier qui concernent l’édition 2030 de la Coupe du monde de football masculin, il y a le choix d’organiser trois matchs en Amérique du Sud : un en Argentine, un au Paraguay et un en Uruguay (premier pays hôte de la compétition en 1930).

Cette célébration symbolique des 100 ans de la compétition vise – pour reprendre les termes de la FIFA – à « apporter de l’unité » « dans un monde divisé ». Elle aura surtout un impact carbone très lourd pour trois matchs seulement…

Pour une fédération internationale de sport comme la FIFA, dont l’histoire a malheureusement été marquée par les scandales financiers, la corruption et les accointances avec de nombreux régimes autoritaires ou dictatoriaux, la célébration de son passé est plus vraisemblablement un prétexte pour masquer une toute autre intention : ouvrir la voie à l’Arabie saoudite pour accueillir la Coupe du Monde de football masculin en 2034.

En effet, le Conseil de la FIFA a également décidé début octobre, conformément au principe de rotation entre les confédérations, de réserver les candidatures pour l’édition 2034 à seulement deux continents : l’Asie et l’Océanie ; l’Arabie saoudite étant le seul pays concerné géographiquement ayant fait part de sa volonté de candidater.

Organiser une Coupe du Monde : d’abord des places pour les « VVIP »

Si un tel scénario devait se confirmer, la Coupe du Monde de football masculin se tiendrait en 2034, douze ans après l’édition au Qatar, seize ans après celle en Russie, une nouvelle fois dans un pays qui bafoue à une échelle industrielle les droits humains et qui met les impératifs écologiques au dernier rang de ses priorités.

La politique assumée de l’Arabie saoudite de faire du sport un outil de « soft power », qui accueillera pour rappel les Jeux asiatiques d’hiver en 2029, a l’avantage de se marier parfaitement avec la course au gigantisme et la cupidité de la FIFA. 

Un document résume bien les priorités de la FIFA : c’est celui qui fixe les exigences d’organisation minimales pour l’accueil d’une Coupe du Monde de football masculin.

D’un côté, ce document (accessible ici pour les éditions 2026 et 2030) est extrêmement détaillé quand il évoque les exigences en matière d’infrastructures ou de cadre légal. Ainsi, pour déposer un dossier de candidature : il faut disposer de quatorze stades dont sept déjà construits ; les cadres de la FIFA doivent pouvoir loger dans des hôtels 4 étoiles minimum pour le match d’ouverture et la finale ; les VVIP (qui sont des VIP++) doivent bénéficier d’au moins deux cents places pour les demi-finales ; des réductions d’impôts voire des défiscalisations sont requises dans plusieurs domaines, etc.

De l’autre côté, les exigences dans le domaine social ou environnemental se limitent à des engagements publics et des documents stratégiques, soit des exigences à la dimension déclarative uniquement. Avec de telles « contraintes », nul doute que l’Arabie saoudite sera en mesure de répondre au prochain cahier des charges.

Héritage et préservation de l’environnement : les deux impensés de la FIFA

La lecture du document de la FIFA qui fixe les exigences d’organisation minimales pour l’accueil d’une Coupe du Monde de football masculin est symptomatique de sa vision du monde et du football.

Une Coupe du Monde doit être une « véritable invitation à venir célébrer le football » (extrait du relevé de décisions du 4 octobre), c’est-à-dire une compétition durant laquelle les joueurs, les spectateurs et les officiels doivent être accueillis dans de bonnes conditions, peu importe le coût écologique de l’événement, le nombre de morts sur les chantiers et le traitement des femmes et des minorités sexuelles dans le pays d’accueil pour prendre ces quelques exemples récents.

Cette vision mercantile, cynique et court-termiste n’est pas conciliable avec la vision que portent les Socialistes sur l’organisation des grandes compétitions sportives. Dans ce domaine, l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 porte une ambition qu’il s’agit de prolonger mais surtout d’amplifier.

La course au gigantisme doit cesser. La santé des sportifs et des sportives doit primer et l’organisation des compétitions/rencontres doit être pensé pour limiter leur impact sur l’environnement, dans un contexte où le premier facteur de pollution d’une compétition consiste en ces déplacements (athlètes, staffs et spectateurs). 

Par ailleurs, les processus de candidatures doivent faire l’objet d’un cahier des charges beaucoup plus précis, avec des objectifs contraignants en matière de respect des droits humains et des engagements pour le climat. Ce cahier des charges doit également comporter un volet « héritage », comprenant des mesures visant à promouvoir durablement la pratique d’activités physiques et sportives à tout âge, durable et inclusive, en amont et surtout en aval de l’événement. Évidemment, il faut ensuite une volonté politique pour impulser ce cahier des charges puis l’appliquer. Aujourd’hui, elle est introuvable à la FIFA, dont le fonctionnement mériterait grandement d’être démocratisé.

Dans les prochains mois, les socialistes détailleront leurs propositions concrètes pour bâtir un autre modèle dans l’organisation des grands événements sportifs.

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