– Jeudi 27 janvier 2022
Tristan Foveau, secrétaire national à l'Écologie, le Dérèglement climatique et la Biodiversité
Alain Delmestre, secrétaire national à la Transition énergétique
Alors que les quatre principaux syndicats du secteur énergétique ont lancé un appel commun à la grève des salariés d’EDF ce 26 janvier, qu’il semble lointain ce 27 mars 1946 où Marcel Paul, ministre de la Production industrielle, lançait à la tribune de l’Assemblée que l’électricité était « l’armée de la reprise économique française ». Il défendait alors justement la naissance d’EDF, rassemblement sous houlette publique des sociétés de production, de distribution et de transport d’électricité.
La formule a conservé toute son actualité. Depuis l’été, l’Europe et la France font en effet face à une crise énergétique inédite à bien des égards et accentuée justement par la reprise économique post-COVID. Le cours du gaz naturel a ainsi augmenté de 400% en 2021, entraînant avec lui les cours de l’électricité qui lui sont indexés (à plus de 200€ le MWh, avec même des pics à plus de 600€). Mais cette flambée des prix, sans doute conjoncturelle et qui devrait s’aplanir après l’hiver, cache une réalité structurelle.
Un secteur soumis à la concurrence en dépit du bon sens
Les directives européennes de 1996 et 2003, puis la loi du 9 août 2004, ont fait d’EDF, établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) depuis 1946, une société anonyme à capitaux publics (à près de 84 % de l’État).
Car, le système électrique est par nature un monopole intégré : les moyens de production (centrales nucléaires, photovoltaïques, barrages, etc.) et de distribution (le réseau), en raison des coûts de maintenance et d’investissement, de leur impact écologique, etc. sous-tendent une planification de long terme peu compatible avec les aléas du marché.
C’est donc afin de se conformer aux règles européennes qu’un mécanisme artificiel de mise en concurrence a dû être inventé : l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), mis en place en juillet 2011 par la loi NOME de 2010. Il oblige EDF à céder à ses concurrents un quart (aujourd’hui un tiers) de sa production nucléaire de l’époque (plafonné à 100 TWh/an) à un prix coûtant censé refléter le prix de production, soit 42 €/MWh. Le gouvernement Fillon créait ainsi les conditions d’une chimère que le gouvernement actuel fait mine de découvrir : demander à un acteur d’un marché concurrentiel de soutenir ses concurrents…
En parallèle, les tarifs régulés de vente (TRV, le tarif bleu d’EDF), n’ont quant à eux cessé d’être attaqués car perçus par les libéraux comme un frein à la « concurrence libre et non faussée » européenne et sont à termes menacés pour les particuliers, après leur disparition progressive pour les entreprises.
En réalité, cette libéralisation du système électrique était condamnée à l’échec. Critiqué de longue date, les limites de l’Arenh sont de notoriété publique : efficace dans la seule mesure où il a ouvert des parts de marché à de nouveaux opérateurs sans aucune valeur ajoutée pour le système global (puisqu’ils n’interviennent que sur les activités de « fourniture »), il représente surtout une régulation asymétrique pour EDF. Quand les prix de marché sont bas, EDF vend à prix bas, quand les prix de marché sont élevés ou très élevés, EDF brade.
Par ailleurs, alors que la concurrence devait être favorable au consommateur, depuis 2007, la facture annuelle du client moyen a structurellement progressé de 57 % jusqu’à aujourd’hui. Dans un contexte d’explosion des prix du marché, les TRV font donc la pleine démonstration de leur utilité sociale…
La présidence Macron pilonne EDF
Dans ce contexte, c’est bien une triple faute que le Gouvernement commet : il ne tire pas les conséquences des failles de la libéralisation progressive des marchés de l’énergie, n’a pas anticipé les conséquences de ces failles, notamment pour les consommateurs, et enfin il fait preuve d’une incurie court-termiste et électoraliste vis-à-vis d’EDF, entreprise stratégique pour le pays.
En effet, quelle réforme de fond aura marqué le quinquennat d’Emmanuel Macron en matière énergétique ? Le projet Hercule, négocié secrètement avec Bruxelles puis abandonné au printemps 2021 devant une opposition unanime, prévoyait au contraire d’approfondir la libéralisation du marché de l’énergie. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, cette réforme menaçait d’aggraver les difficultés. N’excluons pas qu’elle revienne sous un autre label.
A défaut de réforme de fond, le Gouvernement fait peser sur EDF son manque d’anticipation politique en relevant le plafond annuel de l’Arenh de 100 TWh à 120 TWh ainsi que son tarif de 42 à 46,20 euros/MWh. Résultat de l’opération ? 8 milliards de pertes pour une entreprise qui supporte tous les coûts d’investissement, d’entretien du réseau, d’installation de nouveaux moyens de production… au bénéfice de l’ensemble du système électrique. Des économies à court terme pour le consommateur, certes, mais sans doute pas pour le contribuable.
En définitive, s’il est indispensable de préserver le caractère public d’EDF, la libéralisation du marché électrique constitue plus largement un aléa insupportable pour les Français après la crise sanitaire et la crise économique : « cette nationalisation ne peut (…) être examinée uniquement sur le plan des doctrines économiques. Il ne s’agit pas, en réalité, d'un choix, car le pays n'a pas, dans ce domaine, la possibilité de choisir, mais d'une décision d'ordre national à prendre ». Là aussi, Marcel Paul avait su trouver les mots justes dès 1946…