Crise sanitaire : tant de questions sans réponse

Par Philippe Casenave, section de Bayonne

A partir de 2020, la France mais aussi le monde ont traversé une crise majeure. Sanitaire mais pas que. Le gouvernement aurait-il été exemplaire dans la gestion de cette crise comme il le dit ?

Et nous ? Avons-nous été à la hauteur ? N’avons-nous pas adhéré à une forme de pensée unique qui nous était commandée ? Pratiquement sans nuance.

Et aujourd’hui ? Considérons-nous, nous aussi, qu’une parenthèse s’est refermée. Si tant est que la Covid serait désormais derrière nous ? Qu’il n’y a aucune analyse à faire de cette longue période ? Aucun enseignement à en tirer ? Quand cet évènement majeur a mis en lumière tant de failles, tant d’inégalités, tant de divergences aussi dans nos approches du « vivre ensemble » ou nos références démocratiques ?

A la veille de notre congrès, l’enjeu n’est-il pas de prendre le temps de réinterroger notre identité, de mieux définir les valeurs dont nous nous réclamons ? Et, à partir de là, d’éclairer notre pensée, notre regard sur le monde, sur ses crises, et aussi notre projet politique pour demain. Ce sujet majeur ne saurait faire exception.

 

Quel mode de gouvernance ?

Commençons d’ailleurs par nos références démocratiques. Tellement mises à mal.

*L’état d’urgence sanitaire a perduré jusqu’au 1 août 2022. Il est hors de question bien entendu de contester la gravité du fléau qui  nous a touchés. Le parti politique qui aurait failli dans ses positionnements aurait été jugé sévèrement par l’opinion. Etait-il pour autant nécessaire de soustraire au débat politique les réponses à apporter ? Malgré leur complexité… Et peut-être, surtout, à cause de cette complexité.

*Un « conseil de défense sanitaire » a été mis en place pendant cette très longue période, réunissant, outre des membres du gouvernement, de grands médecins. Pas vraiment anodin. Partageons-nous un tel choix de gouvernance ? Et du coup l’idée qu’il n’y avait là qu’une crise sanitaire ? Sans considérer les conséquences économiques, sociales, sociétales des décisions prises ? Sans considérer qu’il aurait été indispensable d’associer d’autres acteurs, d’entendre d’autres voix, pour prendre en compte cette complexité ?

On nous rétorquera l’urgence. Ce qui pouvait s’entendre lors du premier confinement n’est pas recevable sur une durée de 28 mois.

*L’absence totale d’évaluation  des mesures prises et de leurs conséquences a amené le gouvernement à reconduire à l’identique de nombreuses mesures, de confinement en confinement. Notamment dans la détermination des « besoins essentiels » et des « besoins non essentiels », pour les déplacements autorisés ou pas. Sans aucune analyse des conséquences de leurs décisions pour une partie de la population. Sans considération concernant la grande violence de certains discours qui laissent encore aujourd’hui, de nombreuses plaies ouvertes, creusant le fossé entre les gouvernants et la population.

Qu’en avons-nous dit ? Et, pour se projeter vers l’avenir, qu’en retenons-nous ? N’avons-nous pas d’autres modes de gouvernance à proposer, y compris en temps de crise ? Au nom de notre attachement aux valeurs démocratiques, de notre attachement à l’humain, mais aussi au nom de la recherche de réponses efficientes ? Non, il n’y avait pas d’un côté ceux qui adhéraient sans réserve aux choix du gouvernement et de l’autre ceux qui étaient dans le déni de la Covid.

L’efficacité, l’humanité peuvent aussi être trouvées dans des réponses démocratiques, une généralisation de l’évaluation des politiques publiques, associant d’autres acteurs, politiques mais aussi syndicaux, associatifs, travailleurs sociaux, population…  Faut-il s’étonner que, dans ses choix, le Président Mr Macron ait une fois encore mis de côté les corps intermédiaires ?

Quelle politique de santé ?

*La grande misère des hôpitaux a été bien sûr mise en pleine lumière par cette crise sanitaire. Souvenez-vous. Tous ces habitants applaudissant à leurs fenêtres à 20 heures le personnel soignant. Qu’en restera-t-il ?  A l’évidence, il faudra de nombreuses années de priorités budgétaires pour inverser la tendance. Résultat de décennies de fermetures de lits dont nous ne pouvons nous exonérer et de difficultés immenses des personnels, trop longtemps oubliées. Les différents partenaires concernés devront être associés pour s’attaquer à cette immense tâche. Et le politique est aussi renvoyé à ses responsabilités.

Soyons exigeants. Le risque est grand de ne voir que la partie la plus visible de l’iceberg. De nombreuses interventions et hospitalisations ont du être différées, compte tenu de la concentration des moyens sur la Covid. Les autres malades, leurs familles ou proches, ont été laissés à une interminable attente.

*Avec l’arrivée de la Covid, c’est aussi à une explosion des souffrances psychologiques que nous avons assisté. Les médias en ont parlé avec juste raison pour les jeunes et pour les proches des malades.

Mais d’autres souffrances psychologiques ont quasiment été passées sous silence, touchant des publics souvent oubliés par ce pouvoir. Et, pour d’autres publics encore, laissés à l’abandon, ces souffrances ont été directement le résultat de choix  du gouvernement.

Avons-nous de notre côté été capable de les repérer et de nous en faire l’écho ?

L’immense chantier des inégalités.

« On est tous à la même enseigne. » Répétée sans arrêt sur les médias comme une évidence, cette affirmation a été d’une terrible violence là encore pour beaucoup. Car cette crise a été tout le contraire, jetant à notre figure le spectacle des profondes inégalités que ce pouvoir veut absolument occulter.

*La situation des « premiers de cordée », employé-e-s de magasins, éboueurs, etc… a été un temps évoquée, avant de retomber dans l’oubli. Tant de métiers qui attendent depuis tant de temps une amélioration de leur condition. A l’instar des aides à domicile, de plus en plus difficiles à trouver malgré des besoins considérables. Il y a eu aussi bien sûr tous ceux qui durant cette crise n’ont plus pu aller travailler, avec des situations spécifiques qui ne leur ont pas permis d’accéder à des aides publiques.

*Les inégalités face au logement sont apparues criantes. « Restez chez vous ! » Insupportable pour beaucoup de voir ces discours incantatoires, ce ton sévère utilisés par des politiques ou des journalistes cachant parfois difficilement une immense propriété, quand d’autres s’épuisaient nerveusement.

*L’invitation à repenser les modes de travail, en y intégrant le télétravail, a été utile. Et il faut poursuivre cette réflexion. Mais là encore, le discours a semblé ignorer la réalité de nombreux métiers où cette possibilité n’existe pas. Et beaucoup de familles ont été renvoyées au constat d’inégalités criantes, quand les conditions de vie, les moyens financiers imposent un télétravail dans des conditions déplorables.

*Le suivi scolaire des enfants à la maison a bien sûr aussi souffert de ces profondes inégalités malgré l’implication méritoire du personnel enseignant.

*La mise en sommeil de certains services publics pendant de nombreux mois ont aussi généré d’importantes difficultés pour ceux qui ne sont pas familiers du numérique notamment. Puissions-nous en tirer la leçon que la lutte contre les inégalités passe aussi par la défense des services publics.

Cette addition d’inégalités a été largement ignorée dans une pensée unique. Ce constat majeur, encore plus cruel en temps de crise, n’imposait-il pas d’impliquer des sociologues ou des travailleurs sociaux –j’en suis- pour animer un travail de diagnostic et rechercher des réponses, repenser le monde de demain ?

 

D’autres inégalités, des droits fondamentaux foulés aux pieds.

Il reste un autre champ d’inégalités, insupportable et qui aurait du nous indigner. Rappelez-vous. A peine sorti du secret des réunions du « conseil de défense sanitaire », Premier Ministre et Ministre de la Santé nous édictait ce qui relevait de « besoins essentiels » et de « besoins non essentiels ».

Au nom de la distanciation sociale… Sauf que la ligne de partage répondait moins à des objectifs sanitaires qu’à une vision de la société bien précise, renvoyant beaucoup à l’isolement et à l’exclusion.

Au rang des « essentiels », les interactions pouvaient se multiplier dans les lieux de culte qui obtenaient rapidement une exception, pour « besoins économiques impérieux » ou pour le « Black Friday. »

Les autres avaient droit à l’intransigeance, l’absence totale d’humanité, les privant de tous liens sociaux et les renvoyant à une souffrance psychologique insupportable. Encore une fois, l’absence d’écoute, de considération pour l’humain, constantes de ce gouvernement, a été vécue par les personnes concernées comme le signe d’un profond mépris. Mais qu’avons-nous exprimé nous-mêmes ?

*Il y a bien sûr toutes les personnes isolées qui ne pouvaient trouver une case à cocher sur « l’attestation dérogatoire » dans une activité professionnelle. Si les acteurs de terrain avaient été sollicités, ils auraient pu témoigner de l’envolée des dépressions, des hospitalisations en psychiatrie, des tentatives de suicides.

*Les violences intrafamiliales se sont multipliées dans cette période. Si loin des réalités, le gouvernement a cru trouver une réponse géniale en invitant les victimes à prononcer un mot clef en pharmacie pour alerter les services de police. Sauf que nous aurions pu expliquer que cela ne se passe que très rarement comme cela. Pour la majorité des victimes, le chemin jusqu’à la décision de porter plainte est long. Nous constatons que beaucoup passent par une étape avant cette décision, se réfugiant chez un parent, chez une amie pour fuir les violences. Mais il s’agissait là de déplacements désormais interdits, car « non essentiels ».

*Et puis il y a tous les couples ne vivant pas sous un même toit. Y compris des couples binationaux qui ont été interdits de se voir durant cette crise. Exemple, pour mon couple franco-espagnol, pendant au total 10 mois entre mars 2020 et mai 2021. Nous défendions le droit à la vie privée, garantie par la convention européenne des droits de l’Homme. Conscients de la gravité de la maladie, nous ne demandions à voir qu’une personne, quand les « besoins économiques impérieux » autorisaient pour d’autres une multitude de contacts. Nous ne demandions qu’une place pour l’humain. Au nom de 2.000 personnes en couples, membres d’un groupe d’entraide, j’ai moi-même, avec d’autres, interpellé le gouvernement sur cette situation insupportable à plusieurs reprises, par courriers et médias. Sans aucune réponse.

Mais je dois à la vérité de dire que le Parti et tous les parlementaires de gauche interpellés eux aussi ne nous ont pas davantage répondu.

Un champ sociétal et démocratique à ne pas abandonner.

Dans notre réflexion sur l’avenir, je retiens que :

*Les réponses aux violences intrafamiliales ne peuvent se construire qu’en écoutant les acteurs de terrain.

*La défense des droits fondamentaux, le « champ sociétal » ne sauraient être abandonnés à l’avenir dans les valeurs et le projet socialistes. Nous avons su par le passé être pertinents sur l’égalité femmes-hommes. Nous avons aussi su défendre qu’il y avait différentes façons de « faire couple » ou « faire famille » avec le PACS, le mariage pour tous, le droit à l’adoption…  Comment la gauche a-t-elle pu abandonner ce combat tout au long de la crise sanitaire ? Ignorer la voix de ceux qui rappelaient qu’au XXIe siècle, on peut aussi être couples en ne vivant pas sous un même toit. Parfois par choix mais le plus souvent par obligation, notamment les couples binationaux. Comment a-t-on pu ignorer pendant 10 mois des personnes en couple qui se réclamaient du droit d’aimer et d’un combat finalement traditionnel de la gauche ?

La lutte contre toutes les discriminations ne doit-elle pas guider nos positionnements ? Les autres couples, vivant, eux, sous un même toit, auraient-ils supporté des mois, seulement des semaines de séparation, d’intransigeance ? Tolérer une telle injustice aussi longtemps n’est-il pas avant tout le signe que nous ne sommes pas au clair sur des normes morales ? Précision : pour avoir fait une recherche approfondie, la France a fait exception, la quasi-totalité des pays européens prenant en compte cette réalité que la France a obstinément ignoré.

*La prise en compte de l’humain, et non pas seulement des enjeux économiques, si elle ne coule pas de source pour nos gouvernants, devra à l’avenir inspirer les positionnements des socialistes. Et si elle était au final pour beaucoup notre raison d’être ?

*Notre approche de l’Europe a aussi été questionnée dans cette période. L’Europe a été construite notamment sur une règle européenne fondamentale : la libre circulation des personnes. Une règle qui a été bafouée de nombreux mois dans l’ignorance totale de l’opinion, au sein même de l’espace Schengen. Et nous l’avons supporté, malgré les alertes des couples concernés, quand les frontières s’ouvraient devant les transporteurs et intérêts économiques ! Comment avons-nous pu apporter du crédit à ceux qui, par idéologie, réclamaient le rétablissement de frontières intra-européennes pour combattre un virus comme celui-là. Quel message pour les nombreuses personnes désormais en couples transfrontaliers qui vivent eux au quotidien l’Europe des Citoyens dont nous ne nous réclamons que lors d’élections !

*Quand nous parlons santé, ne devrions-nous pas nous référer à sa définition par l’Organisation Mondiale de la Santé : « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité » ? Et du coup nous faire aussi écho des conséquences des décisions politiques en matière de santé en termes d’impact humain, social et psychologique. Ce qui impose de changer en profondeur les modes de gouvernance, sans se référer seulement à un conseil scientifique.

En cela, les socialistes pourront s’appuyer sur l’Histoire. Ce fut là, face à un autre terrible virus, le sida, le combat d’associations qui revendiquèrent une place pour d’autres acteurs, non à la place des médecins, mais à leurs côtés. Pour travailler sur les conséquences psycologiques, sociales, et sociétales. Et le gouvernement Jospin avait su alors apporter une réponse avec la loi sur les droits des malades du 4/3/2002.

 

Modes de gouvernance, respect des personnes, défense de l’hôpital public, lutte contre les inégalités, défense des droits fondamentaux, approche démocratique de la santé… Il y a matière à faire différence avec le gouvernement et à se référer à nos valeurs et notre Histoire pour un projet.

Sur ce sujet comme sur d’autres.

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