– Vendredi 16 juin 2023
Anne-Sophie de Surgy, secrétaire nationale à la Santé mentale
Il y avait eu en février, la première étude réalisée depuis 20 ans concernant la santé mentale des prisonniers révélant un chiffre ahurissant : 98 % des hommes et 99 % des femmes incarcérés avaient vécu des maltraitances enfant, la grande majorité de ses derniers ayant au moins un trouble psychiatrique modéré à sévère actuel. Le rapport préconisait, outre la nécessaire amélioration de l'accès aux soins des adultes, celui de l'accès aux soins précoces, dès l'enfance.
Il y avait eu de nouveau, en février, une étude de Santé Publique France démontrant que les troubles dépressifs étaient à un niveau jamais égalé chez les enfants. Un jeune sur cinq souffre de troubles dépressifs. En cause, le poids des réseaux sociaux, la phobie scolaire, le contexte économique avec une inflation grimpante et le contexte international où chaque jour la guerre en Ukraine fait rage, le changement climatique avec une prise de conscience de tous devenant irrémédiable sur fond d'épidémie de Covid paraissant déjà loin mais où ses terribles effets sur le psychisme agissent comme une bombe à retardement.
Il y avait eu en mars, la parution du rapport du Haut Conseil de la Famille, de l'Enfance et de l'Age qui alertait sur la souffrance psychique des enfants et des adolescents et sur le déficit chronique de moyens alloués aux dispositifs de soins et d'éducation en France.
Les troubles mentaux et la souffrance psychique impactent le développement de l'enfant dans la gestion de ses émotions, dans son rapport au langage et à son corps, dans ses liens familiaux et amicaux...En découle, une augmentation inappropriée de la consommation de psychotropes dans cette partie de la population, cette pratique se retrouvant au centre de la réponse thérapeutique en lieu et place des recommandations de l'Organisation mondiale de la Santé qui préconisent en première intention une intervention psychothérapeutique, éducative, de prévention et d'intervention sociale.
Il y a depuis des mois nombre d'affaires tragiques relatant des faits de harcèlement allant jusqu'à la mort de ses jeunes victimes.
Il y a sur le terrain une explosion de la demande de consultation pour souffrance psychique allant des enfants jusqu'aux étudiants, dans un système de santé à bout de souffle où l'accès est de plus en plus difficile et inégalitaire sur le territoire. Il est quasiment impossible de trouver des consultations chez un pédopsychiatre pour un nouveau patient, les délais de consultation en CMP ou en Maison des Adolescents est indécent, le coût de la consultation chez un psychologue est un frein et l'accessibilité aux soins au travers des déserts médicaux en est un autre.
La France prend conscience des difficultés concernant l'accès à la santé mais la santé mentale se trouve dans une situation bien plus préoccupante, faute de prise de conscience et d'implication majeure dans les politiques de santé des dernières années. Or, pendant la vie une personne sur cinq se retrouvera concernée par la maladie mentale, ce chiffre est bien plus important quand on parle de la souffrance psychique.
Le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse affirme que le bien-être des élèves est au cœur des politiques éducatives, que le suivi de la santé des élèves est une des missions de l'école.
À la fin du mois de mai, le Ministre de l’Éducation Nationale reconnaissait que la situation de la santé scolaire n'était pas satisfaisante et demandait un rapport conjoint avec le Ministère de la Santé : évidemment le diagnostic est terrible : pénurie d'infirmières, de médecins et de psychologues scolaires.
Les solutions envisagées pour la prochaine rentrée : inscrire le numéro de la prévention suicide, le 3114, dans chaque carnet de correspondance, former les CPE et la vie scolaire à la santé mentale et à la détection des fragilités des élèves, orienter si besoin vers un psychologue de « mon parcours psy » et créer un protocole dans chaque établissement sur la santé mentale.
A cela s'ajoute que tous les collégiens de France auront droit à une heure de sensibilisation sur le harcèlement scolaire au cours du mois de juin et que la lutte contre le harcèlement sera la « priorité absolue de la rentrée », cela était déjà le cas à la précédente rentrée …
A tous les âges de la vie, la santé mentale est un droit. Depuis le Covid, on assiste à sa destigmatisation : il est temps de comprendre que la prévention et la prise en charge de nos enfants est un investissement pour la survie de notre peuple. Pouvons nous considérer que l'école, le collège, le lycée et l'université représentent alors le premier désert médical de France ?
Le temps est venu d'un véritable tournant structurel dans l'organisation de la santé à l'école mettant réellement en son cœur et ayant comme véritable priorité la prévention. Il ne s'agit pas de former quelques professionnels dont ce n'est pas le métier ou d'engorger des cabinets où certains élèves n'iront pas faute de trouver un psychologue ou bien les freins pour être remboursé seront grands. Non, il faut qu'au sein de chaque établissement, chaque élève puisse trouver l'écoute et la réponse qu'il cherche au sein d'un véritable service de santé scolaire. Il faut investir massivement dans l'embauche de personnels, en premiers lieux psychologues de l'éducation nationale et psychologues cliniciens, assistant·e·s social·e·s et infirmièr·e·s.
Ceci n'est plus nécessaire, cela est devenu vital pour que nous, citoyens, parents ou politiques puissions regarder nos enfants en face en arrêtant de leur dire que leur santé n'est pas importante. Il faut que ceux qui seront les citoyens de demain puissent savoir que leur santé n'était pas qu'une question financière.
Alors citoyens, parents et politiques, engageons nous pour la santé de nos enfants !