– Mardi 18 juillet 2023
Yannick Trigance, secrétaire national à l'École, au Collège et au Lycée
Marseille, septembre 2021 : c’est en grande pompe que le Président de la République vient lui-même lancer son « École du futur » à grands renforts de médias. On allait voir ce que l’on allait voir !
Un « fonds d’innovation pédagogique » de 500 millions d’euros pour mettre en place des projets « innovants » et la possibilité pour les directions d’école de recruter eux-mêmes des enseignants pour la bonne mise en œuvre de ces projets : tels sont les deux axes principaux de ce dispositif.
Las ! Le rapport d’information publié le 12 juillet par un sénateur et deux sénatrices – issu·e·s de familles politiques différentes – met en lumière le triple problème de cette « École du futur » : problème quantitatif, problème qualitatif et au final, problème politique.
Sur l’aspect quantitatif, si le ministère annonçait le 7 juillet dernier 18623 « intentions » de projets puis 7382 projets « déposés », ce sont 1900 projets seulement qui ont été validés le 13 juin dernier pour tout le territoire, soit 14 % des élèves de la maternelle au lycée avec par exemple dans l’académie « pilote » d’Aix-Marseille seulement 36% des crédits alloués pour le premier degré et 61% pour le second degré au 25 juin dernier. Dans l’académie de Lille, 119 projets ont été réellement déposés et seuls 16% des projets ont bénéficié d’un financement.
Problème qualitatif ensuite au sens où le caractère « innovant » des projets soulève souvent des interrogations. De nombreuses demandes ont par exemple porté sur du mobilier ou bien préexistaient au fonds d’innovation pédagogique, recyclés pour l’occasion afin d’obtenir des financements parfois en complément d’un co-financement impliquant la collectivité territoriale.
Certains recteurs auraient eux-mêmes concédé que certains projets relevaient davantage de « l’opportunité » plutôt que de « l’innovation », avec dans des académies une absence notoire de réflexion autour de la notion « d’innovation ».
Problème politique enfin au sens où ce dispositif a introduit, voire aggravé les inégalités entre établissements scolaires : ce fonds « d’innovation » a été déployé dans la confusion et la précipitation, les informations transmises aux équipes pédagogiques ont souvent été très insuffisantes, voire divergentes en fonction des territoires, favorisant alors les établissements qui ont l’habitude de répondre à des appels à projets.
Quant aux recrutements des enseignants par les directions d’école, il apparaît que les postes à pourvoir sont pour la plupart des postes ordinaires ne nécessitant aucune compétence particulière…
Précipitation, opacité, inégalités : « l’École du futur » d’Emmanuel Macron s’apparente davantage à un guichet « premiers arrivés, premiers servis » plutôt qu’à un véritable travail de réflexion sur la nécessaire adaptation de l’école aux spécificités de ses publics et de ses territoires.
Répondre aux besoins des écoles par des projets pédagogiques innovants en lien direct avec les difficultés des élèves, porter à la connaissance de toutes les équipes pédagogiques les critères transparents d’éligibilité à ces fonds tout en les accompagnant et en leur donnant du temps pour concevoir et monter les projets, évaluer nationalement tant la démarche que les projets mis en place : autant de mesures à mettre en place dès à présent.
Sans ces dispositions, cette « École du futur » restera à l’état de faire-valoir et de vitrine politique avec aucun effet sur ce qui doit rester la mission première de l’École : garantir le droit à la réussite pour tous les enfants, partout sur le territoire de la République.