En Arménie, en Artsakh, Socialistes, il faut agir maintenant


Thème : Arménie


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Quand on leur demande s’ils ont bien dormi, les enfants d’Arménie et d’Artsakh, qui vivent le long des frontières avec l’Azerbaïdjan, répondent simplement. Comme les autres soirs, ils se sont endormis. Mais, au milieu de la nuit, les tirs de l’ennemi, dirigés vers le ciel, avertissant du drame qui pourrait advenir, sont venus déchirer leur sommeil. Ensuite, pris par la peur, ils n’ont pas réussi à se rendormir.

Sur ce récit ordinaire, les parents enchaînent. Ils décrivent la crainte de voir s’égarer leur bétail de l’autre côté des lignes de partage — les vaches n’ont pas le sens de la guerre — et, pire encore, racontent leur angoisse d’être massacrés, en plein jour, en pleine obscurité, par des bombardements ou par l’intrusion d’une escouade azerbaïdjanaise animée par le projet de tuer des Arméniens.

Pourquoi restez-vous, sommes-nous tentés de demander ? Pourquoi vivre pareil calvaire ? Et pourquoi l’imposer à vos enfants ? Mais parce c’est notre terre depuis des siècles, répondent-elles, répondent-ils ! Parce que ces maisons sont tout ce que nous avons. Et parce que nous n’avons nulle part où aller.

De la grande Arménie historique qui courait de la Caspienne à la Méditerranée, il ne reste que deux territoires confettis, dans le sud Caucase, la République d’Arménie, avec ses 3 millions d’habitants, et la République d’Artsakh à l’endroit des montagnes et des plaines du Haut-Karabagh, avec ses 100 000 âmes. Après la chute de l’Union soviétique, l’avènement des deux états a pu laisser croire que la paix s’était installée pour toujours. Rien désormais ne pourrait la troubler. Les escarmouches, enregistrées aux frontières, endeuillaient des familles, sans hypothéquer l’équilibre fragile.

À l’automne 2020, la guerre des 44 jours a brisé ce rêve. En lançant son offensive belliciste en chaque endroit stratégique de l’Artsakh, l’Azerbaïdjan a rompu 26 ans d’une paix déjà relative. Au soir du 9 novembre 2020, après 4 000* morts et plus de 10 000* blessés côté arménien, l’accord de cessez-le-feu, signé sous l’égide de la Russie, a défini de nouvelles frontières. Un tiers de la République d’Artsakh a été cédé à l’Azerbaïdjan — dont la ville de Chouchi, joyau culturel arménien—, tout comme la zone de sécurité qui la protégeait et préservait aussi l’Arménie, laissant un pays totalement enclavé, à la merci de son ennemi. Il est revenu à l’armée russe de pacifier la région sud caucasienne et de sécuriser le corridor de Latchin, l’unique route reliant désormais l’Arménie et l’Artsakh.

En février 2022, lorsque les Russes ont envahi l’Ukraine, les Arméniens ont eu trois choix : soutenir l’Ukraine au nom de l’autodétermination des peuples chère à leur cœur et se voir livrés par Poutine à l’Azerbaïdjan ; soutenir la Russie et récolter la détestation du monde entier ; se contraindre au silence — courageux ou coupable — jusqu’en des temps moins douloureux.

En août, tandis que les Russes se fragilisaient sur les fronts ukrainiens, l’armée azerbaïdjanaise a pris possession du couloir de Latchin, obligeant les faiseurs de paix à un pas de côté, retirant à l’Artsakh ses réseaux de communication et d’acheminement de l’énergie. Dans la nuit du 13 au 14 septembre, au moment où Vladimir Poutine enregistrait, cette fois, de sérieux revers en Ukraine, l’Azerbaïdjan, a frappé l’Est de l’Arménie en quelques villes symboles. Comme Vartenis et ses mines. Djermouk et ses sources. Goris et sa production électrique. Ces attaques ont été rendues possibles, par le retrait forcé des Arméniens de la zone de sécurité, sans aucune garantie.

L’Arménie, attaquée sur son sol et envahie à sa frontière Est, qui l’aurait imaginé ? L’Arménie, à la souveraineté bafouée, violentée par l’ A zerbaïdjan engagé dans une stratégie de conquête militaire de son territoire et d’effacement de son peuple, convoitant le sud arménien pour y tracer une route vers le Nakhitchevan et vers la Turquie, ne dissimulant même plus son envie de poursuivre la vieille ambition ottomane puis turque d’anéantir la nation arménienne, qui l’aurait cru ?

C’est pourtant ce qui s’est produit.

Dans les jours suivant leur incursion de septembre 2022, les Azerbaïdjanais ont diffusé sur les réseaux sociaux des images insoutenables de leurs forfaits, dévoilant des scènes atroces d’exécutions sommaires, de tortures et de profanations de cadavres arméniens. Ces exactions — dont la teneur rappelle le génocide des Arméniens de 1915 — sont contraires au droit international. Leur utilisation, par la propagande azérie, pour apeurer les populations, constitue une autre violation à la dignité des personnes. Elle est d’autant plus grave qu’elle s’inscrit dans la montée d’un discours haineux de l’Azerbaïdjan envers les Arméniens, peu propice à l’apaisement.

Au moment où les socialistes entament les débats de leur 80e congrès, l’Arménie est en grand péril. L’Artsakh est en danger de mort.

Il y a longtemps qu’une passion respective unit les peuples français et arménien, passion nourrie de relations intellectuelles, culturelles, politiques ou commerciales. Entre arménophilie et francophilie, notre engagement viscéral, à nous Socialistes, pour défendre les Arméniennes et les Arméniens est une constante du XIXe siècle à aujourd’hui. Ce sont :

  • Jean Jaurès et Francis de Pressensé qui, fin du XIXe et début du XXe siècles, dénoncent les persécutions perpétrées par le Sultan Rouge, dénommé ainsi tant il avait baigné ses mains dans le sang des Arméniens et des minorités de l’Empire ottoman,
  • François Mitterrand qui, en 1984, à Vienne, en Isère, en tant que président de la République, évoque le génocide de 1915, organisé par le gouvernement Jeune Turc, décimant les deux tiers de la population arménienne de l’Empire ottoman, entaché d’une négation toujours vive de la part de la Turquie,

  • Charles Hernu, en 1990, à Villeurbanne, qui s’effondre et meurt à la tribune d’un meeting de soutien aux Arméniens pendant la première guerre du Haut-Karabagh,

  • les député·e·s socialistes qui, en 1998, à la faveur de leur niche parlementaire, passent en force le texte augurant la loi de reconnaissance du génocide arménien; relayés ensuite par les sénatrices et sénateurs socialistes,

  • tant d’élu·e·s socialistes qui, de Marseille à Paris, dans leurs territoires, au sein de leurs collectivités, dans les institutions nationales et européennes, ont accompagné des projets et œuvré au quotidien pour maintenir ce lien fort avec la diaspora arménienne, comme avec l’Arménie et l’Artsakh.

Face au très grand risque de voir l’Arménie et l’Artsakh rayés de la carte, nous devons nous Socialistes affirmer et réaffirmer notre soutien plein et entier aux Arméniennes et Arméniens de ces deux Républiques. En particulier :

  • Dans le contexte international de très grandes tensions, au regard du conflit en Ukraine à la forte couverture médiatique, il nous revient de tout faire pour briser le silence qui entoure la question arménienne, partout où nous sommes, mobilisant sans relâche tous nos canaux d’expression ;
  • Si le dialogue entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan peut et doit contribuer à la résolution du conflit et à la paix, il ne saurait servir à dissimuler les crimes du président de l’Azerbaïdjan et à blanchir sa réputation par sa simple présence à la table des discussions. Aucun processus de paix ne saurait l’exonérer de poursuites ultérieures ;

  • Débattre entre nous pour définir la position de notre parti quant à la nature de l’aide que doivent apporter la France et l’Europe. Il est important de continuer à défendre la culture arménienne et d’organiser des échanges : pourtant, ce sont d’armes dont les Arméniens ont aujourd’hui besoin ; et il est essentiel de tout faire pour empêcher une situation d’un immense cynisme qui contraindrait les autorités de Erevan à abandonner l’Artsakh pour sauver l’Arménie ;

  • Dénoncer fermement les horreurs des forces azerbaïdjanaises, commises sur des civils et des soldats, parfois devant des caméras, commentées d’ expressions intolérables ; exiger d’ ouvrir des enquêtes internationales conduites par des autorités indépendantes ; et exiger encore de poursuivre et condamner les auteurs de ces actes, comme leur hiérarchie ;

  • Réinvestir les relations d’amitié avec les communes d’Artsakh, malgré l’opposition du gouvernement français, en dépit des verdicts des tribunaux administratifs qui ont rompu les pactes et chartes, cela en imaginant de nouvelles modalités de coopération, moins formelles, donc moins attaquables, par exemple via des moyens numériques ;

  • Se saisir de toutes les opportunités pour parler de l’Arménie et de l’Artsakh, pour accueillir leurs représentants, pour diffuser une information juste sur la nature du conflit avec l’Azerbaïdjan et pour empêcher sa récupération par ceux qui le confondent à une guerre de religion ou à une guerre de civilisation, ce qu’il n’est pas ;

  • Continuer à exprimer notre vigilance à l’égard des négationnistes du génocide arménien de 1915, dont le discours pourrait trouver un nouveau regain dans les harangues venimeuses de l’ Azerbaïdjan envers les Arméniens.

Durant notre congrès de Marseille — ville symbole de l’accueil des Arméniens après le génocide de 1915 —, comme nous l’avions fait en d’autres époques, en d’autres congrès, notamment lors de l’indépendance de la République d’Arménie, invitons des délégations d’Arménie et d’Artsakh, donnons un nouvel élan à notre dialogue séculaire avec les Arméniens, manifestons leur notre total soutien et sortons leur tragédie de l’indifférence.


* Chiffres officiels donnés par les Autorités arméniennes


Signataires :

Muriel Pernin (69, Gilbert-Luc DEVINAZ, sénateur et président du groupe d’amitié France Arménie au Sénat (69) ; Florence BLATRIX-CONTAT, sénatrice (01) ; Claire BOISSIEU (69) ; Hussein BOURGI, sénateur (34) ; Jean-Paul BRET, ancien député et ancien maire (69) ; Marie-Arlette CARLOTTI, sénatrice, (13) ; Christiane DEMONTES, ancienne sénatrice et ancienne maire (69) ; Yvon DESCHAMPS, ancien conseiller régional (69) ;  Claire DONZEL, ancienne conseillère régionale (74) ; Rémy FERAUD, sénateur (75) ; Claudine KHATCHADOURIAN (63) ; Cristina MARTINEAU, adjointe au maire (69) ; Patrick MENNUCCI, membre du bureau national (75) ; Christophe MINASSIAN (69) ; Marie-Pierre MONIER, sénatrice (26) ; Alain NERI, ancien député (63) ; Movsès NISSANIAN (69) ; Isabelle ROVARINO, conseillère municipale, membre du bureau national (13) ; Marie-Hélène RIAMON, conseillère municipale et communautaire, membre du bureau national (42) ; Martine ROURE, ancienne députée européenne (69) ; Isabelle SANTIAGO, députée (94) ; Edouard SIMONIAN, vice-président communauté d’agglomération (73) ; Lucien STANZIONE, sénateur (84); Josiane TOURNAIRE (69) ; Aubin VERILHAC, secrétaire fédéral (26).


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