Israël/Palestine : proposition d’un chemin vers une paix juste et durable


Thème : Conflit israélo-palestinien


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Dans le conflit israélo-palestinien qui dure depuis plus de 70 ans, la France défend toujours officiellement l’objectif, partagé par les socialistes, de « deux États vivant en paix et en sécurité le long de frontières sûres et reconnues tracées sur la base des lignes de 1967 ». Mais face à l’absence de progrès pour un règlement du conflit, la viabilité de la solution à deux États est menacée par la poursuite de la colonisation israélienne. Aujourd’hui, alors que la situation humanitaire continue de s’aggraver et que les épisodes de violences se succèdent, il manque surtout une trajectoire, un chemin crédible pour atteindre cet objectif.

 

La situation actuelle en Palestine occupée¹

À un moment où le reste du monde progressait vers la décolonisation, les Palestiniens ont commencé à subir un colonialisme de peuplement et la plus longue période d’occupation de l’histoire moderne. Élaboré en 1967, le plan Allon prévoyait la création d’un État israélien s’étendant de la vallée du Jourdain à la Méditerranée, au moyen de l’annexion complète de la vallée du Jourdain et la création d’enclaves palestiniennes démilitarisées en son sein. Bien que jamais officiellement adopté, l’évolution de la situation sur le terrain témoigne de son exécution de facto : depuis 1967, Israël exproprie des terres pour accueillir des colonies israéliennes et installe sa population civile sur les 22 % de la Palestine mandataire qui étaient censés devenir le territoire où les Palestiniens réaliseraient leur droit à l’autodétermination. Cette politique colonialiste, contraire au droit international, n’a cessé de progresser pour consolider l’annexion de grandes parties du territoire palestinien occupé et à « dé-palestiniser » Jérusalem et la majeure partie de la Cisjordanie.

La fragmentation territoriale du territoire palestinien est l’outil du projet colonial. La séparation entre la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza ont été méticuleusement planifiées et exécutées dès 1967. Suite aux accords d’Oslo signés par Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) entre 1993 et 1995, la division de la Cisjordanie en « zones » A, B et C a entraîné une fragmentation encore plus profonde du territoire des Palestiniens, en facilitant la construction de colonies israéliennes. Parallèlement, des milliers de structures palestiniennes ont été détruites et des dizaines de milliers de Palestiniens déplacés de force depuis 2009. La transformation de la bande de Gaza en une enclave de population appauvrie, contrôlée par Israël au moyen d’un blocus maritime, terrestre et aérien, est un moyen d’entraver l’unité territoriale de la Palestine. Enfin, la « fragmentation stratégique », qui consiste à limiter la liberté de circulation des Palestiniens dans et à l’extérieur du territoire occupé, à les priver d’accès à de vastes étendues de terre et à installer de nombreux barrages routiers, points de contrôle et déviations ainsi qu’un mur de séparation, fait partie des méthodes d’Israël pour contenir et contrôler le peuple palestinien.

Pour maintenir sa domination, Israël mène une politique de violations des droits humains et de persécution contre toute opposition ou résistance politique palestinienne. L’occupant a procédé à de nombreux assassinats ciblés de dirigeants politiques palestiniens, notamment de membres de l’OLP quand bien même l’organisation a été reconnue « représentant légitime du peuple palestinien » par l’ONU dès 1974 et Israël lui-même en 1993. Israël poursuit aussi les détentions et emprisonnements arbitraires, y compris de ministres de l’Autorité palestinienne, de membres du Conseil législatif palestinien et de maires. Près de 4 500 Palestiniens sont actuellement détenus, dont 730 n’ont fait l’objet d’aucune inculpation, et 500 à 700 mineurs, dont des enfants d’à peine 12 ans. Le personnel humanitaire, les journalistes et les organisations de la société civile sont également la cible de la répression israélienne, qui surveille les militants et défenseurs des droits humains par l’utilisation à grande échelle de logiciels espions, dont le fameux programme Pegasus désormais exporté et utilisé dans le monde entier.

La stratégie israélienne vise aussi à entraver tout développement économique des Palestiniens, notamment en les privant de l’accès et du contrôle de leurs ressources naturelles. Dans la zone C de la Cisjordanie, où se trouvent la plus grande partie des ressources naturelles et presque toutes les terres arables de la région, l’occupant exerce un monopole complet sur les sources d’eau et n’a réservé que 1 % des terres à l’usage des Palestiniens. Selon les estimations de l’ONU, si la Cisjordanie ne se trouvait pas sous occupation israélienne, le PIB par habitant en 2019 y aurait été supérieur de 44 % aux chiffres enregistrés. Dans la bande de Gaza assiégée, la situation économique est désastreuse : en 2021, le taux de chômage y a dépassé les 50 %, 80 % de la population dépend de l’aide fournie et les offensives militaires israéliennes répétées, associées aux coupures d’électricité, ont aggravé les difficultés de la population. Le blocus illégal de la bande de Gaza permet également à Israël d’exploiter les réserves de gaz naturel et de pétrole situées au large de celle-ci. Enfin, un réseau d’entreprises nationales et internationales opère dans le territoire palestinien illégalement occupé : elles exploitent leurs ressources en eau, cultivent les terres et les utilisent à des fins d’élevage, exploitent des carrières de pierre, extraient des minéraux, forent des puits de pétrole et de gaz naturel et allouent ces ressources presque exclusivement aux colonies et à la puissance occupante. Les produits finis issus de la colonisation, étiquetés comme « provenant d’Israël », sont commercialisés dans le monde entier, en toute illégalité.

Au plan culturel, la stratégie de l’occupant est d’empêcher le peuple palestinien d’exprimer son identité collective. Les « symboles », tel le drapeau palestinien, sont systématiquement pris pour cibles dans les lieux publics, lors de manifestations publiques et de funérailles. Des mesures visent à effacer le caractère palestinien des vestiges de la terre ancestrale, comme l’élimination de l’histoire palestinienne des programmes de cours dans les écoles de Jérusalem-Est, la révocation des licences des écoles palestiniennes qui n’adhéreraient pas aux politiques préconisées par Israël en matière de programmation scolaire, et la conversion ou la fermeture de sites représentatifs de l’identité culturelle, politique et religieuse de la Palestine.

Pour résumer, le territoire palestinien occupé est soumis à un régime intentionnellement acquisitif, ségrégationniste et répressif, qui, depuis 55 ans, permet à Israël de priver les Palestiniens de leurs droits. L’objectif ultime est d’asseoir la domination d’Israël sur des terres usurpées, par l’intermédiaire de l’emploi illégal de la force (en violation du droit international), l’adoption de politiques abusives et discriminatoires, et le pillage des ressources. Le maintien d’une situation d’occupation sans fin, justifiée par de prétendues « raisons de sécurité », dissimule un dessein colonial et une volonté de supprimer le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et de s’approprier son territoire. La communauté internationale, en particulier les dirigeants, élus et militants socialistes, ne peuvent plus, ne doivent plus, tolérer cette situation inacceptable.

 

Une condition préalable : rééquilibrer le rapport de forces

Alors que la stratégie israélienne est fondée sur le rapport de forces, il convient de rééquilibrer ce dernier en faveur des Palestiniens, en adoptant des mesures de pressions et de sanctions réelles.

Au plan international, conformément aux recommandations de l’ONU, les socialistes doivent exiger de la France et des autres États qu’ils condamnent les violations par Israël du droit des Palestiniens à l’autodétermination. Ils doivent exiger la fin immédiate de l’occupation israélienne illégale, la restitution au peuple palestinien des terres et ressources dont il a été dépossédé depuis 1967, la levée immédiate et sans conditions du blocus de Gaza, l’élaboration par l’Assemblée générale des Nations unies d’un plan pour mettre fin à la politique israélienne d’occupation coloniale, et la prise des mesures diplomatiques, économiques et politiques prévues dans la Charte des Nations Unies en cas de non- respect de ses obligations par Israël. Les socialistes doivent aussi exiger le déploiement d’une force internationale de protection dans le territoire palestinien occupé, afin d’y limiter les actes de violence, conformément au rapport du secrétaire général sur la protection de la population civile palestinienne. Ils doivent aussi exiger la tenue d’une enquête approfondie, indépendante et transparente sur toutes les violations du droit international des droits humains commises dans le territoire palestinien occupé, notamment celles qui constituent des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre potentiels. Leurs auteurs doivent répondre de leurs actes, par l’intermédiaire de l’enquête (en cours) de la Cour Pénale internationale (CPI) sur la situation en Palestine ainsi qu’au moyen de mécanismes de compétence universelle.

Au plan européen, les socialistes doivent exiger que la France se mobilise pour maintenir la suspension de l’Accord d’Association UE-Israël signé en 2000, en application de la clause de conditionnalité sur le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Les réunions du Conseil d’Association avaient été suspendues en 2013, à la demande d’Israël, à la suite de la publication par l’Union européenne de ses « lignes directrices » et un consensus s’était établi au sein de l’UE pour ne pas reprendre les réunions tant qu’Israël n’aurait pas accompli de progrès significatif en matière de respect du droit international et des droits humains. La reprise des réunions du Conseil d’Association le 3 octobre 2022, dans un des pires contextes de violation des droits du peuple palestinien, constitue une tache pour l’UE et les États-membres. La France et ses partenaires européens doivent aussi interdire l’importation des produits issus des colonies israéliennes. Enfin, la France et l’UE doivent mener une pression diplomatique sur les Etats-Unis, soutien et garant de l’impunité d’Israël, qui a démontré son total parti-pris depuis 2017 (reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale d’Israël, suspension de l’aide américaine à l’UNRWA et aux réfugiés palestiniens, fermeture de la mission de Palestine à New-York, départ en 2018 de l’Unesco et du Conseil des droits de l’homme de l’ONU jugés « anti-israéliens », faux « plan du siècle » de Trump, etc).

Au plan national et conformément à la position du Conseil de l’Internationale socialiste, les socialistes exigent que les autorités françaises reconnaissent l’État de Palestine ou, à défaut, s’engagent à le reconnaître dès leur retour au pouvoir. Alors que 139 États du monde (dont 9 membres de l’UE) reconnaissent déjà l’État de Palestine et que le Parlement français a adopté une résolution en ce sens en décembre 2014, l’exécutif français dirigé par les socialistes entre 2012 et 2017 n’a pas saisi l’occasion historique de prendre cette mesure diplomatique juste et forte. Pourtant, la France traite déjà la Palestine comme n’importe quel autre État, entretenant à Jérusalem-Est un Consulat général et accueillant à Paris une Mission de Palestine qui exerce la plupart des attributions d’une ambassade. Et alors que notre pays est un fervent défenseur de la « solution à deux États », n’en reconnaître qu’un seul (Israël depuis 1949) constitue une contradiction et revient à maintenir un déséquilibre : dans le cadre de discussions pour un accord de paix, la Palestine devra d’abord se battre pour sa reconnaissance, alors que l’État d’Israël cherchera à faire prévaloir ses conquêtes territoriales obtenues par une colonisation illégale. Aucun accord de paix ne peut advenir entre des parties de forces dissymétriques, entre un occupant et un occupé. Ainsi la reconnaissance de l’État de Palestine redonnerait espoir au peuple palestinien et placerait les deux États dans un rapport d’égal à égal. Cette reconnaissance aurait aussi un effet d’entraînement sur les autres pays européens, certains d’entre eux ayant déjà exprimé une position favorable à la reconnaissance (Espagne, Irlande) ou s’étant déclarés prêts à suivre la France si elle prenait cette voie (Belgique, Luxembourg, Slovénie). Une fois la reconnaissance de l’État de Palestine largement partagée en Europe, l’UE pourra s’affirmer comme une médiatrice crédible pour la reprise des discussions en vue d’un accord de paix.

 

Une solution juste et durable : réactiver le plan de paix arabe de 2002

Plusieurs solutions de règlement au conflit ont été présentées depuis 1967. Une seule a reçu l’accueil favorable, à la fois, de la quasi-totalité des Etats arabes, du Président de l’Autorité palestinienne et de la communauté internationale (y compris des États-Unis) : l’Initiative de paix arabe, adoptée au Sommet de la Ligue arabe de Beyrouth en 2002 et réaffirmée en 2007 au sommet arabe de Riyad. Par l’intermédiaire de ce plan, les États arabes (hormis la Libye de Kadhafi) s’engageaient à un accord de paix et à une normalisation de leurs relations avec Israël, à 3 conditions :

  • retrait israélien intégral des territoires arabes occupés jusqu’à la ligne du 4 juin 1967 (y compris le Golan syrien et les territoires du sud-Liban encore occupés) ;

  • solution juste et agréée au problème des réfugiés palestiniens, conformément à la résolution 194 de l’Assemblée générale des Nations unies ;

  • acceptation par Israël de la création d’un État palestinien indépendant et souverain dans les territoires palestiniens occupés depuis le 4 juin 1967 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.

Cette proposition a été rejetée par le gouvernement israélien, mais elle n’en demeure pas moins une base solide pour un accord de paix juste et durable. Lorsque le rapport de forces entre Israéliens et Palestiniens aura été sensiblement rééquilibré, condition préalable pour la reprise de négociations entre les deux parties, les socialistes devront donc reprendre et soutenir les dispositions contenues dans ce plan. La question du statut de Jérusalem devra être réglée dans le cadre du futur accord de paix entre Israéliens et Palestiniens et les socialistes rejettent donc toute décision unilatérale en la matière, d’où qu’elle vienne.


¹ La plupart des données présentées ici sont issues du « Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca Albanese », publié le 21 septembre 2022.


Signataires :

Sylvain Thialon, Secrétaire fédéral Europe et international, Conseiller fédéral, Secrétaire de section (78),

Joëlle Huillier, ancienne députée, Conseillère nationale (38),

Etienne Broquet, conseiller fédéral (78),

Bernard Gérin, militant section Mantois-Vexin (78),

Michèle Christophoul, conseillère nationale (78),

Jacques Chesnais, Premier secrétaire fédéral par intérim (78),

Louis Chambaudu, Commission nationale des conflits (78),

Mickael Sapori, Conseiller fédéral (78),

Jean-Paul Carcélès, membre de la section de Mantes-la-Jolie (78)


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