Mickaël Bouloux défend la motion de censure de la gauche


– Vendredi 20 octobre 2023

Seul le prononcé fait foi

Madame la Présidente,

Madame la Première Ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mes chers collègues,

Une nouvelle fois sous cette 16e Législature, notre Assemblée doit se réunir pour se prononcer sur une motion de censure contre le Gouvernement, après que celui-ci a déclenché la procédure prévue par l’article 49 alinéa 3 de la Constitution et engagé sa responsabilité sur le budget pour 2024.

Madame la Première ministre, vous nous le répétez, la procédure est constitutionnelle. Certes. Est-elle pour autant légitime ?  Avec ce treizième 49.3, la question se pose un peu plus. D’autant qu’on nous annonce un 14ème dès mardi prochain ?

D’ailleurs, faisons ici quelques additions :

  • 10 49.3 en 2022.

En 2023 :

  • Un 49.3 sur l’injuste réforme des retraites,
  • 2 sur la loi de programmation des finances publiques,
  • 5 sur le budget de l’État,
  • 5 sur le budget de la sécurité sociale,
  • 5 sur le budget de fin d’année,

Cela fera 18.

En 2024, 15 de + sur les trois budgets. Idem en 2025 et en 2026.

Au total, cela fera 73 « 49.3 » sur le quinquennat. Et c’est une « borne basse » si j’ose dire : qui sait ce qu’il adviendra sur le projet de loi immigration ou sur d’autres textes ?

Il nous reste encore un peu plus de 3 ans à siéger et à subir potentiellement quelque 70 à 80 « 49.3 ».

C’est presque autant que les 88 « 49.3 » déclenchés entre 1958 et votre arrivée au pouvoir, en 2017.

C’est aussi en totale contradiction avec une méthode de Gouvernement, je vous cite, Madame la Première Ministre, « construite dans un esprit de dialogue ».

Nous assistons à une pratique autocratique d’un Gouvernement à la dérive,

  • Qui préfère la brutalité au dialogue
  • Et l’asservissement des institutions au respect de leurs prérogatives.

C’est à se demander à quoi sert encore le Parlement. Quelle démocratie saine passe 5 ans, sans que son Parlement ne s’exprime sur l’utilisation des impôts prélevés sur son peuple ?

Collègues macronistes des partis présidentiels, réveillez-vous ! Ce ne sont pas seulement les oppositions qui sont bafouées par la répétition des 49.3, c’est vous aussi et vos amendements votés et oubliés.

C’est toute notre démocratie parlementaire qui est bafouée !

Le Parlement est une nouvelle fois piétiné, mais il y a ici cependant un fait nouveau : c’est en effet la première fois qu’un Gouvernement sous la Ve République déclenche un 49.3 avant même que le débat ne soit ouvert sur le projet de loi !

Il est aussi intéressant de relever que, mardi soir, dès après l’annonce du 49.3, le Gouvernement a commencé à quitter cet hémicycle, en roue libre si j’ose dire, sans même attendre que la séance soit levée. Il aura fallu qu’il soit rappelé à l’ordre par la Présidente de l’Assemblée nationale pour daigner rester quelques secondes de plus. Quel message pour la Représentation nationale !?!

Au moins, ce 49.3 est pleinement assumé. L’année dernière, Madame la Première ministre, les accusations d’obstruction vous servaient d’alibi. Cette année, il y a + d’amendements, mais vous ne reprenez pas l’accusation d’obstruction. Peut-être parce qu’il y a plus d’amendements de vos groupes que des groupes d’opposition de gauche ?... En tout cas, dès le départ, vous admettez d’emblée votre peur du vote, y compris de vos rangs et votre incapacité à bâtir un pont avec l’une ou l’autre de vos oppositions et même d’écouter vos députés…

À ses origines, lorsque Félix Gaillard a inventé le 49.3, tout son objet était de clarifier qui soutient le Gouvernement et qui s’y oppose, grâce à un moyen simple : l’abstention n’est pas permise. Par conséquent, ceux qui viennent voter la censure sont dans l’opposition ; ceux qui ne viennent pas la voter soutiennent le Gouvernement.

Laissez-moi regarder une seconde les bancs de la droite LR. Je ne vois pas grand monde.

Nos collègues LR ne sont pas venus voter... On connaît l’adage : qui ne dit mot, consent. Madame la Première ministre, en vérité, dans les faits, vous l’avez, votre majorité : elle est avec la droite !

Comment s’en étonner, quand on regarde ce que contient votre budget ? Après 70 milliards de cadeaux aux plus riches et aux grandes entreprises sur le premier quinquennat, après 4 milliards de cadeaux supplémentaires l’année dernière, un nouveau cadeau de 4 milliards pour les grandes entreprises cette année, sans évaluation de l’effet économique. Au feeling, comme ça, on verra bien.

Une taxation ridicule, presque symbolique, des superprofits : un dispositif bien calibré aurait pu rapporter 15 à 40 milliards selon l’Institut des politiques publiques, mais vos sous-taxes sur les secteurs qui font les profits les plus politiquement insupportables n’atteignent même pas le milliard. Et, comme par hasard, vous n’en reconduisez pas la majeure partie en 2024, au moment où leur rendement devrait être bien supérieur, entre 4 et 5 milliards au total.

Vous transposez l’imposition mondiale sur les entreprises. Bien, mais quel dommage que vous ayez lutté pour un taux à 15 % plutôt que d’aider Joe Biden à décrocher les 21 %. Le journal Libération a vérifié, M. Le Maire : vous n’avez commencé à défendre les 21 % qu’à compter du jour où la piste était hors-jeu, pas une seule fois avant.

Côté dépenses, vous faites 20 milliards d’économies sur le budget de l’État par rapport à ce qu’il faudrait pour neutraliser l’inflation. Un exemple de conséquence très concrète : 2 500 professeurs en moins. Exprimer son soutien à nos enseignants quand ils sont frappés par le terrorisme, c’est oui pour vous, mais il semble que le soutien au quotidien, au long cours, ne vaut plus grand-chose quand arrivent les agences de notation…

Pourquoi cette austérité ? Parce que maintenant que la clause de sauvegarde européenne va être levée, il faut revenir à 3 % de déficit, et c’est compliqué pour trois raisons…

  1. D’une part, vous avez désarmé fiscalement l’État avec toutes vos baisses d’impôts;
  2. Ensuite, vous avez indexé de façon absurde notre dette sur l’inflation
  3. Et, enfin, vos centaines de milliards dans les plans de relance de soutien aux entreprises n’ont pas du tout eu l’effet d’entrainement escompté sur la croissance.

Bref, un budget austéritaire,

  • qui continue à faire de gigantesques cadeaux aux plus riches et aux entreprises, sans condition,
  • qui continue à ne pas faire les investissements climat de plus en plus nécessaires, augmentant jour après jour le cout de l’inaction
  • et qui continue à oublier la classe moyenne et les travailleurs, qui sont chaque jour plus nombreux dans les queues des restos du cœur.

Certes vous prolongez le plafond majoré de réduction « Coluche ». En clair, c’est la générosité privée qui va devoir faire survivre les restos du cœur, Emmaüs et les banques alimentaires. Au passage, ils attendent toujours le solde des 80 millions d’euros que le Sénat et nous avions votés l’année dernière.

À tout cela, vous avez ajouté par amendements quelques cadeaux :

  • plus un seul impôt pour la FIFA,
  • pas de TVA pour Airbnb,
  • pas de taxe sur les rachats d’actions mais une défiscalisation pour les entreprises qui rémunèrent leurs salariés avec des actions plutôt qu’avec des hausses de salaires,
  • etcetera etcetera.

Les lobbys ont bien travaillé !

Certes, vous êtes malins, vous saupoudrez votre budget de quelques mesurettes vaguement de gauche. Bel alibi que le vôtre pour dire que les oppositions s’opposent et que vous ne pouvez construire une majorité sur le texte avec aucune d’entre elles. Mais il aurait fallu commencer par garder dans le texte les amendements de la gauche votés en commission des Finances !

  1. La taxe exceptionnelle sur les superdividendes des grandes entreprises,
  2. la majoration du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital,
  3. le rétablissement de l’exit tax,
  4. une Taxe Transaction financière affectée en partie à l’aide au developpement
  5. une vraie taxe contre les rachats d’action
  6. ou les aides à l’hébergement de nos seniors
  7. ou la rénovation globale des logements.

Ajoutez-y

  1. la hausse des salaires
  2. et la baisse des taxes et des prix sur les biens essentiels,

et peut-être alors pourra-t-on commencer à discuter.

Aujourd’hui, les Françaises et les Français souffrent dans leur quotidien, entre les angoisses que génèrent les fins de mois difficiles et la légitime éco-anxiété face à l’accélération du dérèglement climatique. Ils et elles souffrent aussi dans leur chair avec une menace terroriste au plus haut et les turbulences du monde, plus instable que jamais.

En ces temps troublés, qui font le lit de l’extrême-droite et de la droite extrême, il serait plus que jamais nécessaire d’agir dans un esprit de concorde, dans le respect de nos institutions et dans le dialogue avec l’ensemble des forces vives de la Nation. Certes, Madame la Première Ministre, vous avez appelé à cet esprit de concorde, mais vous l’avez fait entre deux 49.3.

Or, les Françaises et les Français voient votre cynisme dans la gestion des affaires, ils voient la brutalité de votre manière de gouverner, ils voient nos institutions se déliter et perdre de leur sens, et ils voient aussi parfois cela vous fait sourire, vapoteuse à la main et maillot 49.3 sur le dos.

En défendant bec & ongles l’ordre économique et social établi, que vous représentez,

En Attisant, comme vous le faites, la défiance de nos compatriotes

VOUS NOUS MENEZ AU CRASH démocratique !

Si vous persistez sur cette ligne, devant l’Histoire avec un grand « H », il ne restera qu’une chose : après vos déjà 6 années passés aux commandes, l’extrême-droite progresse et se banalise, et vous en portez la lourde responsabilité.

À gauche, sur les bancs du groupe Socialistes et apparentés que je représente, notre ligne a toujours été claire : pas de compromis avec l’extrême-droite et la droite extrême et le courage de nos convictions.

C’est donc la seule motion de censure de nos collègues de gauche que nous soutiendrons.

Enfin quelle que soit l’issue du vote, nous espérons, au groupe Socialistes et apparentés, un réveil et le retour à une démocratie sociale et solidaire, résolument tournée vers la transition écologique. Peut-être cette motion de censure de nos collègues de gauche pourra-t-elle être le signal d’alarme salutaire qui réveillera les esprits égarés.

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