PAC : des arbitrages français à contre-temps

– Lundi 7 juin 2021

Éric Andrieu, député européen

Dominique Potier, député de Meurthe-et-Moselle, secrétaire national du PS à l’Agriculture durable et à l’Alimentation

La nouvelle politique agricole commune (PAC) entrera en vigueur en 2023. Elle doit être à la hauteur des défis actuels : sécurité alimentaire et santé des 450 millions d’Européens, lutte contre le changement climatique, protection de la biodiversité, amélioration des conditions de vie des agriculteurs et renouvellement des générations.

Notre analyse quelques jours après l’échec du dernier round de négociations européennes :

1. Notre premier regret est que l’annonce du Green Deal n’ait pas conduit la Commission européenne à engager une nouvelle réforme en cohérence avec les objectifs en matière agricole : 25% des surfaces en agriculture biologique, baisse de 50% de l’usage de pesticides d’ici 2030.

Toutefois à l’initiative du Parlement européen, quelques avancées intéressantes se dessinent (même si, à ce stade des négociations, le Conseil de l’UE bloque encore sur plusieurs points) :

  • Le paiement redistributif rendu obligatoire à hauteur de 10% du 1er pilier est un succès à l’échelle européenne. Ce pourcentage doit augmenter, dans la dynamique historique engagée par la Gauche avec Stéphane Le Foll en 2014. À ce stade, malheureusement, le plafonnement des aides à l’exploitation conserverait un caractère facultatif pour les États membres.
  • Un premier petit pas sur la conditionnalité sociale des aides est en passe d’être accepté : avec une pénalité pour les agriculteurs ne respectant pas le droit du travail vis-à-vis de leurs salariés.

En revanche, la conditionnalité environnementale n’enregistrerait aucune avancée et pourrait même reculer sous la pression des États-membres :

  • L’alignement des Plans Stratégiques Nationaux sur les objectifs du Green Deal est une condition sine qua non pour parvenir à un accord.
  • Les « éco-régimes » seraient limités à 25 % des fonds du 1er pilier, avec des flexibilités demandées par les États-membres qui ne sont pas acceptables, tant elles prennent le risque de n’être que du greenwashing.

2. Nous pouvons par contre nous féliciter que sur le règlement de l’Organisation Commune des Marchés – même si beaucoup reste à faire – ce soit, notamment sous l’impulsion des sociaux-démocrates, la première réforme de la PAC depuis 1992 comportant plus de régulation que de dérégulation !

La reconduction des autorisations de plantation jusqu’en 2045 a été obtenue ainsi qu’une plus grande flexibilité des mesures d’intervention et de gestion des crises. Les observatoires de marché sont étendus à tous les produits et auront à suivre l’état des stocks européens. Des dérogations aux règles de la concurrence permettront aux producteurs de maitriser l’offre des produits sous appellation d’origine protégée ou de s’entendre avec le reste de la filière pour améliorer le bien-être animal notamment.

En revanche, la fin des tolérances à l’importation sur les résidus de pesticides interdits en Europe figure parmi les derniers sujets en négociation.
En cohérence, le temps est venu pour l’UE de remettre en cause les traités de libre-échange qui créent une concurrence déloyale pour nos agriculteurs et pour les paysanneries du Sud.

3. Malheureusement, les premiers arbitrages annoncés par le gouvernement pour la déclinaison française de la PAC sont à contre-temps des améliorations obtenues au cours de la négociation à Bruxelles.

Tout d’abord, les régions françaises n’auront droit au chapitre qu’à la marge, marquant un recul historique de la décentralisation en matière agricole !

Ensuite, le refus d’utiliser le plafonnement et d’augmenter le paiement redistributif fragilise terriblement l’ambition sociale de cette nouvelle PAC, qui de facto cautionne les stratégies d’accaparement des terres.

Par ailleurs, le refus du transfert significatif du premier au deuxième pilier, s’il permet de maintenir l’ICHN, limite le déploiement de mesures agro-environnementales systémiques.

Les arbitrages annoncés par le ministre le 21 mai dernier traduisent un manque d’ambition pour les transitions alimentaire et agroécologique. Ils sont la marque d’un pacte avec les forces dominantes du système agro-industriel, au détriment du développement de pratiques agricoles répondant aux attentes de nos concitoyens (santé et environnement) et de l’intérêt bien compris des agriculteurs d’aujourd’hui et de demain. La recherche à tout prix d’un « consensus » aboutit donc à une forme d’immobilisme :

  • La banalisation des « éco-régimes » serait une occasion manquée dans la prévention en matière de santé environnementale et de conquête des marchés émergents comme l’agriculture biologique, dont les bénéfices écologiques ne sont plus à démontrer. La prise en compte du label HVE au même niveau que la bio est à ce titre proprement scandaleuse. Il est particulièrement urgent de réviser le cahier des charges de HVE 3 tel que nous le demandons depuis plusieurs années, afin qu’il devienne un authentique levier de la transition agroécologique.
  • Compte tenu de leur importance pour rééquilibrer les revenus, les aides couplées ne doivent pas être réduites pour les exploitations familiales au risque de déstabiliser de nombreuses régions d'élevage extensif
  • Le Plan protéines végétales que nous appelions de nos vœux ratera sa cible s’il n’est pas partout au service d’un allongement des rotations et de la consolidation des systèmes de polyculture élevage.
  • Le refus de poursuivre les convergences des aides entre secteurs géographiques et un nouveau transfert du secteur céréalier vers l’élevage au nom des zones intermédiaires sera un handicap pour la compétitivité durable de notre agriculture.
  • La faiblesse des programmes opérationnels et du renforcement des Organisations de Producteurs et des Interprofessions, capables de maitriser les prix et les volumes, est une erreur stratégique car ces instruments et ces cadres sont les seuls à même d’accompagner les agriculteurs dans les mutations économiques et dans leur capacité de négociations commerciales. Alors qu’une nouvelle proposition de loi censée sauver l’échec de la loi EGALIM va être discutée prochainement, il serait incompréhensible de ne pas utiliser les outils de la PAC pour aider nos éleveurs à sortir du joug des multinationales de l’agro-alimentaire et de la grande distribution.
  • Le soutien à l’installation de nouveaux agriculteurs est limité à la portion congrue, alors même que le défi du renouvellement des générations doit être une priorité cardinale.

En définitive, on ne peut pas comprendre pourquoi le gouvernement s’est précipité à annoncer de premiers arbitrages aussi conservateurs alors même que la négociation à Bruxelles n’est pas achevée. Cette première version du Plan stratégique national français n’est pas alignée avec les objectifs du Green Deal, le gouvernement doit reprendre les concertations avec l’ensemble des parties prenantes et revoir sa copie sans attendre que la Commission européenne lui demande de le faire.

Cette seconde chance suppose, dans un exercice de vérité, de s’appuyer, comme en 2015, sur un état des lieux du revenu des agriculteurs par région et par filière. Sur le plan démocratique, nous avons ainsi l’opportunité d’appuyer la décision française d’une délibération du Parlement français, à l’instar d’autres États-membres.

Pour un juste partage de la valeur, l’efficience de cette nouvelle PAC aurait dû passer, à l’échelle nationale, par des régulations trop longtemps ajournées : une réforme foncière, une définition de l’actif agricole et une remise en cause des mécanismes de négociations commerciales léonins hérités de la LME.

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