Philippe Brun défend la motion de censure du gouvernement d'Elisabeth Borne


– Vendredi 29 septembre 2023

Seul le prononcé fait foi

J’ai l’honneur, au nom de 151 de mes collègues, de demander à l’Assemblée nationale la censure du Gouvernement de la République.

Cet acte n’est pas anodin, madame la Première ministre.

Pourtant, depuis maintenant plus d’un an, plus de quinze orateurs se sont succédé pour demander cette censure. Le hasard ou les circonstances ont voulu qu’il soit confié à un député de l’Eure, territoire oublié de la République, où l'extrême-droite perdure sur le terreau de vos renoncements, le soin de présenter cette demande de destitution.

Madame la Première ministre, votre départ, les Français me le demandent chaque week-end, dans les foires, dans les marchés, sous les préaux des écoles, tant ils n’en peuvent plus d’un gouvernement insensible à leurs difficultés, d’un gouvernement qui ne sait pas entendre la colère sociale, les difficultés de la rentrée, d’un gouvernement qui a voulu imposer, par tous les moyens, une réforme des retraites injuste, qui vole deux ans de vie à l’ensemble des Français sans apporter aucune solution au financement de notre régime de retraite.

Dans le département de l’Eure, comme dans la France tout entière, nous vivons la désertification médicale, la disparition des services publics, ceux-là mêmes que vous mettez en danger avec le projet de loi de programmation des finances publiques.

Ce projet de loi est l’objet de ce nouveau 49.3 que vous nous infligez.

Le fait que ce projet de loi soit récessif n’est pas l’unique problème, mais rappelons tout de même que 4 points de contraction de la dépense publique dans un tel délai, c’est du jamais vu. Jamais notre pays n’a réduit de 0,5 point de PIB par an sa dépense publique, avec une croissance inférieure à 2 %. Cette perspective récessive nous paraît particulièrement inquiétante. On voit se multiplier les faillites d’entreprise : plus 40 % cette année par rapport à l’année dernière. On assiste à l’explosion des prix et à une crise inflationniste qui vole le pouvoir d’achat des Français. On a vécu la rentrée la plus chère de l’histoire de notre pays, avec une augmentation de plus de 23 % des prix pour les fournitures scolaires et de plus de 18 % pour les produits alimentaires. Les prix de l’électricité ont augmenté de 15 % au mois de février et de 10 % au mois d’août. Il a été mis fin aux tarifs réglementés du gaz.

Madame la Première ministre, face à cette immense crise inflationniste, vous désarmez l’État par une programmation pluriannuelle qui ne permet en rien de préparer l’avenir. Ce projet de loi, outre qu’il est récessif, porte en effet atteinte à l’avenir de notre pays. Comment fait-on des économies à hauteur de 4 points de PIB ? Probablement par la suppression de postes d’enseignants, par la suppression de lits dans les hôpitaux, par le déremboursement de médicaments – sans jamais mettre à contribution une minorité que vous ne cessez de servir. En portant à ce point atteinte à nos services publics, vous portez atteinte au pacte social de la France.

Vous n’avez accepté aucune de nos propositions visant à augmenter les recettes. Vous avez balayé d’un revers de la main celles consistant à mettre enfin à contribution les plus riches, à rétablir l’impôt sur la fortune, comme 80 % des Français le demandent, à taxer les superprofits et les superdividendes. Nulle mise à contribution des plus aisés, des superprofits, des superdividendes ou des rachats d'action : vous vous attaquez aux plus pauvres, ceux qui n'ont que leur travail pour vivre, et le service public pour patrimoine.

Nous sommes l’un des seuls pays européens à ne pas le faire !

Madame la Première ministre, dans vos atermoiements, vos changements de pied et vos renoncements, vous n’aurez fait preuve que d’une seule constance : favoriser, avec la plus grande servilité, la minorité la mieux dotée des Français. C’est cela que nous voulons censurer aujourd’hui.

Ce projet de loi, et la manière dont vous voulez l’imposer, est une négation de l’égalité de par ses conséquences sociales. Il est la négation de la liberté, car il réduit le débat démocratique à une farce. Il est la négation de la fraternité, car il divise notre nation au lieu de la rassembler.

Il faut prendre la mesure du coup de force que représente l’adoption de ce projet de loi par le recours à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Ce texte, nous l’avons souverainement rejeté lors d’une lecture l’an dernier à l’Assemblée nationale, et vous nous demandez à nouveau de l’accepter.

Avec vous, le principe est simple : soit nous votons oui, soit, si nous sommes défavorables au texte, vous nous interdisez de voter. Voilà votre bilan, voilà votre manière de faire, voilà votre méthode !

Plus encore que la trajectoire récessive de ce projet de loi, nous voulons censurer l’inefficacité du Gouvernement dans un pays qui ne fonctionne plus, qui ne trouve plus de soignants, plus d’enseignants, plus de chauffeurs de bus, ni de train ; le pays où l’on met le plus de temps pour obtenir des papiers d’identité, des passeports ; un pays dans lequel les ministres sont réduits à un rôle d’influenceurs, renonçant à leurs prérogatives.

Monsieur le ministre de l’économie, pourquoi avez-vous abdiqué, pourquoi avez-vous renoncé à exercer vos prérogatives ministérielles ? Recourez à des décrets, à des lois, au levier fiscal, au lieu de jouer le rôle d’un influenceur, devenu une sorte de star des réseaux sociaux ! Vous demandez à la grande distribution de réduire ses prix, aux entreprises de faire des efforts pour augmenter les salaires – mais ce n’est pas cela, gouverner ! Les Français ont honte de ce qu’est devenu leur gouvernement : un gouvernement qui renonce à incarner la volonté populaire, à être le représentant du peuple et à prendre les mesures qui s’imposent.

Madame la Première ministre, même si vous ne m’écoutez pas, même si de nombreuses motions de censure se succèdent depuis des années, j’ai la conviction qu’un jour, l’une d’entre elles sera adoptée.

Peut-être sera-ce ce soir.

Nous contestons non seulement votre politique récessive et l’inefficacité de votre gouvernement, mais aussi le coup de force démocratique qui découle d’une pratique du pouvoir absolument inédite sous la Ve République.

Aucun homme n’avait concentré autant de pouvoirs entre ses mains – un homme qui a tenté de faire disparaître le Parlement par l’usage à répétition du 49.3, qui a mis  sous tutelle, qui a fait disparaître le Gouvernement.

Madame la Première ministre, vous n’avez même pas le choix de vos collaborateurs – c’est un fait inédit dans l’histoire de notre République. Ils sont nommés directement par l’Élysée. Nous leur écrivons d’ailleurs à une adresse se terminant par « @elysee.fr ».

Les ministres ne choisissent pas non plus leurs collaborateurs. Quel ministre ici a choisi son directeur de cabinet ?

Cette concentration des pouvoirs entre les mains d’un seul homme, voilà ce que nous devons critiquer. C’est à cela que nous devons mettre fin en vous censurant, madame la Première ministre.

Nous devons porter l’ambition d’une nouvelle République, dans laquelle le pouvoir sera partagé, dans laquelle le Parlement retrouvera sa place, dans laquelle l’intérêt public et la volonté générale l’emporteront sur les intérêts particuliers et la volonté d’un seul homme.

Madame la Première ministre, le jour où ce gouvernement tombera – et ce jour viendra bientôt –, nous pourrons dire à votre égard qu’il vous manquait deux choses : qu’il y eût un gouvernement, et que vous fussiez sa cheffe. Tout le monde en effet a bien compris que c’était le Président de la République et lui seul qui prenait toutes les décisions ; vous ou un autre, cela ne changerait finalement pas grand-chose à l’état du pays.

Mes chers collègues, nous voici face à un choix important : faut-il ou non renverser ce gouvernement si impopulaire ?

Si cette motion de censure est adoptée, il n’y aura de notre part nul esprit de haine ou de revanche,  , mais la ferme détermination, après la dissolution qui devra survenir, de porter, avec l’union de la gauche et tous les républicains qui voudront nous suivre, le projet d’une transformation radicale de notre pays : la défense des services publics, qui sont le patrimoine de ceux qui n’en ont pas ; une transformation sociale, pour permettre à chacun de vivre de son travail ; un programme ambitieux de planification écologique, de réouverture des petites lignes de train, de transformation des modes de production et de consommation, seules réponses possibles aux défis que nous devons relever.

Surtout, nous redonnerons à la France son rang dans le monde, aujourd’hui menacé par votre politique.

La France est un grand pays, qui mérite un autre gouvernement, un gouvernement qui prenne la mesure des défis que nous avons à relever, un gouvernement de salut public qui redonne l’espoir aux classes populaires, un gouvernement qui fasse enfin advenir la VIe République.

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