Plateformisation de l’économie, le droit du travail ne se négocie pas !


Thème : Ubérisation


« Une réunion comme celle-ci m’apporte énormément. Je soutiens votre combat. Faites-vous  entendre. Partagez votre expérience. Vous permettez de lutter contre la régression sociale en  France et en Europe ». C’est par ces mots que notre camarade socialiste luxembourgeois et  Commissaire Européen Nicolas SCHMIT a conclu le 24 octobre dernier une réunion qu’il tenait  à la mairie de Saint-Denis (93) avec près de 200 chauffeurs VTC qui ont créé la première  coopérative d’activité et d’emploi afin de s’extraire du joug d’Uber et de ses concurrents. 

Nicolas SCHMIT terminait alors une journée de déplacement en région parisienne pour  présenter son projet de directive visant à garantir des droits sociaux aux travailleurs des  plateformes et rencontrer différents acteurs français de cette économie des plateformes qui  cherchent à trouver des parades face à l’ « ubérisation », qu’il convient aujourd’hui bien  davantage d’appeler « plateformisation » tant la créature a échappé à son créateur, englué  depuis cet été dans les Uber Files, ce scandale et tout ce qu’il révèle du rapport de la macronie  avec l’état de droit. 

Les socialistes, premiers défenseurs du droit du travail 

Ce combat pour les droits sociaux des travailleurs des plateformes n’est pas nouveau pour les socialistes. Nous le menons au Parlement depuis près d’une décennie, et singulièrement depuis  2018 lorsque nos sénateurs en ont fait un cheval de bataille en déposant deux recours devant le  Conseil constitutionnel sur les lois Avenir Professionnel (2018) puis d’orientation des mobilités (2019). Deux recours gagnés contre le gouvernement qui, à ces deux occasions, tentait d’imposer un système de chartes pour réguler les relations entre les plateformes et les  chauffeurs VTC ou livreurs à vélo. En réalité il ne s’agissait de rien de moins que d’ajouter des  paramètres pour empêcher toute requalification au moment ou de premières actions en justice  commençaient à être menée et de premières décisions commençaient à tomber. Le plus bel  exemple fut l’arrêt de la Cour de cassation le 4 mars 2020 requalifiant un chauffeur Uber en  salarié, prouvant donc le lien de subordination du travailleur, puisque l’indépendance du  chauffeur fut qualifiée de « fictive ». 

S’est alors révélée la stratégie macroniste : protéger les plateformes plutôt que les travailleurs  des plateformes à travers différents Chevaux de Troie qu’ont d’abord été les chartes, puis la  volonté de créer un tiers statut et encore l’année dernière les ordonnances sur le pseudo dialogue  social entre travailleurs et plateformes. Ceci en se concentrant toujours sur les seuls chauffeurs  VTC et livreurs à vélo qui sont les deux arbres qui cachent la forêt de la plateformisation en ce  qu’elle va en réalité bien au-delà de ces deux métiers : infirmières et métiers d’aide à la  personne, professeurs à domicile, avocats ou encore le lavage et repassage de vêtements comme  cela a été révélé par la remarquable enquête de Gurvan KRISTANADJADJA, journaliste à  Libération, dans son livre Ubérisation piège à cons paru l’année dernière. 

Face à cela les socialistes se sont constamment mobilisés en soutien aux travailleurs à travers différentes tribunes (Libération1, Le Monde2, Les Échos3,4, L’Humanité5, Alternatives  Économiques6…), en faisant jouer l’article 40 du Code de procédure pénale lors de l’affaire  Frichti à l’été 20207, en menant une opposition résolue aux projets de loi gouvernementaux … Mais surtout nous avons contribué à inventer deux contre-modèles. 

D’abord la coopérative dans une proposition de loi portée par trois de nos sénateurs, Monique  LUBIN (Landes), Nadine GRELET-CERTENAIS (Sarthe) et Olivier JACQUIN (Meurthe-et Moselle) fin 20198. Ils ont été les premiers à populariser cette solution, en coordination avec la  fondation Jean Jaurès qui a publié concomitamment à l’examen de ce texte au Sénat un premier  rapport sur la solution coopérative corédigé par Jérôme GIUSTI, avocat des chauffeurs VTC  contre Uber, et Thomas THEVENOUD dont la loi éponyme a permis en 2014 de mettre fin au  conflit naissant entre VTC et taxis. La coopérative d’activité et d’emploi et le statut  d’entrepreneur salarié, définis par la loi Hamon de 2014, sont les deux faces d’une même pièce  visant à recréer de la structuration collective face à l’individualisation grandissante de la société  et des rapport sociaux, amplifiée par le dévoiement du statut d’auto-entrepreneur et le rôle  toujours plus grand des algorithmes. 

Le second, le salariat. Alors que les sénateurs communistes ont très tôt proposé de créer pour  les travailleurs des plateformes une catégorie spéciale dans la septième partie du code du travail à côté des artistes, des mannequins, des VRP… en somme des travailleurs de « cachet » ; nous  avons préféré la voie de la présomption de salariat et son corollaire le renversement de la charge  de la preuve en matière de requalification9, en y ajoutant un début de transparence des  algorithmes, ce véritable contre-maître 2.0. Nous avions mis ces propositions en avant dans le  premier « live du projet » du Parti consacré à la question du travail le 4 février 2021, puis dans  une proposition de loi a symboliquement été déposée le 4 mars 202110, soit un an jour pour jour  après l’arrêt de la Cour de cassation sur Uber et presque concomitamment à la présentation de  la loi « riders » par le gouvernement espagnol visant à requalifier l’ensemble des livreurs à vélo. 

La droite absorbée par la macronie 

Mais quelle qu’ait été la solution envisagée, le gouvernement comme la droite les ont à chaque  fois rejetées. 

Et parfois sans véritablement de cohérence, notamment pour la droite. Pendant plus de deux  ans les sénateurs LR ont affirmé la main sur le cœur être opposés à un tiers statut, allant même  jusqu’à l’écrire dans un rapport de la commission des affaires sociales en 2019. Mais voilà  qu’aujourd’hui ils accompagnent le gouvernement pendant la ratification des ordonnances du  21 avril et pire déposent une proposition de loi11 cet été créant de facto un tiers statut entre  salariat et indépendance et sécurisant encore davantage le modèle des plateformes. 

Le gouvernement est quant à lui parfaitement constant et droit dans ses bottes : les chartes ne  passent pas ? on commande un rapport à Jean-Yves FROUIN. Celui-ci recommande la  coopérative et le portage salarial et refuse explicitement le tiers statut12 ? qu’à cela ne tienne,  on demande un autre rapport cette fois-ci à Bruno METTLING pour qu’il définisse un cadre de  « dialogue social » entre indépendants et plateformes, avec une autorité de régulation du  dialogue social pour les plateformes qui peine à se créer une légitimité puisque seuls 1% des  livreurs et 3% des chauffeurs ont participé au mois de mai au premier scrutin pour élire les  représentants des travailleurs. Voici donc le droit en vigueur actuellement. Nous sommes entrés  dans un régime flou vis-à-vis des traités européens sur la concurrence puisque nous autorisons  dorénavant des ententes entre des entreprises, puisque les travailleurs sont auto-entrepreneurs ;  ce qui a contraint la commission a changé son interprétation de certaines règles en parallèle de  l’écriture de la directive SCHMIT. 

Le combat continue 

Alors que nous sortons de campagnes présidentielle et législatives qui ont été rudes pour notre  parti, nous pouvons être fiers de constater que l’ensemble des candidats de gauche, à  commencer par Anne HIDALGO, ont repris les positions travaillées et portées par notre parti  et nos parlementaires. Nous pouvons être fiers qu’elles soient aujourd’hui largement  retranscrites dans le projet de directive porté par Nicolas SCHMIT. Hélas la réélection  d’Emmanuel MACRON renforce la probabilité que l’orientation économique et sociale qu’il  porte depuis 2017, et même 2015, se poursuive ; malgré la majorité relative dont il dispose à  l’Assemblée. Dans tous les cas il fait assez peu de doute qu’il n’évolue pas au sujet de la  plateformisation du travail tant il a usé de la Présidence française de l’Union Européenne au  premier semestre 2022 pour tenter de contrer la directive SCHMIT. Mais comment en être surpris après les révélations début juillet sur les Uber Files, ce scandale qui a démontré qu’au 

delà de la puissance de lobbying de cette firme, l’état de droit et le droit du travail étaient tout sauf prioritaires. Nous devons continuer de dénoncer ce scandale et tout ce qu’il révèle du  rapport de la macronie avec l’état de droit et les puissances d’argent. 

Le capitalisme de plateforme n’a que faire de l’état social car seul compte la rentabilité. Toute  entrave législative ou réglementaire, toute régulation doit être combattue. Et tant pis pour le  sort des travailleurs, ces nouveaux tacherons. Le rouleau compresseur est en marche, jusqu’à  l’embauche de travailleurs sans-papiers, les proies les plus fragiles comme le démontre le  scandale de la plateforme Stuart, pourtant filiale de La Poste ! 

A nous de tout faire pour l’arrêter en explorant au Parlement, dans nos villes, départements et  régions toutes les alternatives pour protéger notre état social et ses acteurs, qu’ils soient  travailleurs ou plateformes mieux-disantes, pour créer un contre-modèle qui ne remette pas  pour autant en cause la digitalisation de l’économie car nous ne nous trompons pas d’ennemi 

et nous ne nous trompons pas d’époque.  

C’est la raison pour laquelle sur ce sujet si essentiel le Parti Socialiste doit continuer de se mobiliser pour : 

- L’adoption et la transposition dans les meilleurs termes et délais de la directive de  Nicolas SCHMIT. 

- Soutenir la mobilisation des travailleurs de plateformes et les initiatives qu’ils prennent,  notamment la création de coopératives qui peuvent être aidées financièrement par les  collectivités. 

- Comprendre et accompagner les modèles des plateformes alternatives à Uber ou  Deliveroo telles que Just Eat dont l’un des dirigeants affirmait publiquement lors de la  venue de Nicolas Schmit à Paris13 que « le salariat est le modèle le plus équilibré » pour  les travailleurs, pour les intermédiaires (en l’occurrence les restaurateurs) et aussi pour  les plateformes en ce qu’il permet une régulation du marché avec « des règles  communes ». 

inconvénients, le tiers statut ne résout en rien la question statutaire, puisque les pays l’ayant adopté, comme l’Espagne et  l’Italie, cherchent à nouveau un statut juridique spécifique, adapté aux travailleurs des plateformes », Rapport « Réguler les  plateformes numériques de travail » de Jean-Yves FROUIN, 30 novembre 2020, page 3.

 

- L’amélioration du statut des « vrais » indépendants, en parallèle de la requalification  des indépendants fictifs. 

- La révision du statut d’autoentrepreneur afin qu’il ne soit plus réservé qu’à la seule  phase de création de l’entreprise et ne puisse plus être une forme déguisée d’emploi  salarié. 

- Une adaptation du devoir de vigilance des entreprises (loi Potier de 2017) afin que toute  entreprise ayant recours à des travailleurs indépendants pour l’exécution d’une  opération soit tenue à une obligation de vigilance consistant à identifier les risques, à  prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la  santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement et à garantir une  rémunération décente et juste au travailleur à qui elle fait appel sous peine de poursuites  judiciaires. Par cette action nous cherchons notamment à lutter contre les prix  abusivement bas ou les baisses de tarifs imposés par les plateformes – comme nous le  constatons avec Deliveroo ou Uber depuis de trop nombreux mois sans agir – et donc à  lutter contre l’abus de dépendance économique au travers du concept de rémunération  « décente et juste ». 

- Une régulation des algorithmes privés par la création d’un « algorithme public » qui  contrôlerait certaines données afin de s’assurer qu’ils se conforment au droit (durée du  travail, sécurité, santé, RGPD…), tout ceci sous le contrôle d’une CNIL aux moyens et  prérogatives renforcés. La CNIL serait suppléée d’une autorité ad hoc dotée d’un  pouvoir d’agrément d’exploitation et donc de sanction envers les plateformes,  notamment pour faire appliquer un devoir de vigilance et ainsi protéger les travailleurs, 

- Davantage de contrôles de l’inspection du travail sur le respect du droit du travail mais  également de l’URSSAF et de l’inspection des Finances sur les paiements des  cotisations et impôts des plateformes. 


1 « Quels gestes barrières contre les statuts précaires », Libération, 12 mai 2020. 

2 « Il faut bâtir un système de contrôle des plateformes et de leurs algorithmes », Le Monde, 15 novembre 2021.

3 « Travailleurs des plateformes : pour en finir avec le cyberprécariat », Les Échos, 5 août 2019.

4 « Protégeons vraiment les travailleurs des plateformes », Les Échos, 14 janvier 2021. 

5 « Madame la Ministre, Uber n’est pas au-dessus des lois », L’Humanité, 17 mars 2021. 

6 « Faut-il sauver le soldat Frouin ? », Alternatives Économiques, 27 novembre 2020.

7 « Livreurs sans papiers de Frichti : le sénateur PS Olivier Jacquin va faire un signalement en justice », Libération, 31 juillet  2020. 

8 Proposition de loi visant à rétablir les droits sociaux des travailleurs des plateformes, 28 novembre 2019. 9 Aux plateformes de prouver que les travailleurs sont réellement indépendants et non à eux de faire valoir leurs droits en  démontrant via des procédures longues et couteuses dont ils n’ont généralement pas les moyens. 10 Proposition de loi visant à lutter contre l’indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de  groupe et en contrôlant la place de l’algorithme dans les relations contractuelles, 4 mars 2021. 

11 Proposition de loi relative aux travailleurs en situation de dépendance économique vis-à-vis des plateformes numériques,  2 août 2022. 

12 « Pour régler la situation des travailleurs non-salariés mais économiquement dépendants, l’hypothèse d’un tiers-statut entre  celui de salarié et d’indépendant a été envisagée. Mais une telle novation risquerait de remplacer une frontière floue par deux  frontières qui le seraient tout autant et le contentieux en requalification ne s’éteindrait pas, comme le démontrent les exemples  de nos voisins italien, espagnol et britannique qui sont dotés d’un tiers-statut. Pis, au lieu de servir l’objectif d’étendre les  réglementations protectrices au plus grand nombre, ce statut créerait un nivellement par le bas. A côté de ces graves 

13 Table-ronde coorganisée par la Fondation Jean Jaurès et le groupe socialiste du Sénat « L’emploi à tout prix, même contre  l’État de droit et le droit du travail ? », 24 octobre 2021.


Les signataires : 

Olivier JACQUIN, Sénateur, Secrétaire National Mobilités-Transports (54)

Gaston LAVAL, Secrétaire fédéral (75) 

CARDON Rémi, Sénateur, SN, 1er Fédéral (80) 

CONWAY-MOURET Hélène, Sénatrice, SN (FFE) 

ADOUE Daniel, SF (32) 

BACHOFEN Blaise (75) 

BEJANNIN Jean-Christophe, Trésorier de section, BFA (75) 

BURGHARDT Pierre-Eugène (75) 

CHARLIER Franck, CR BFC, 1er fédéral (71) 

CHARPENTIER Luc, SF, SecSec (12) 

DELMESTRE Alain, SNA (75) 

DELMESTRE Mathieu, BNA, BF (75) 

GAILLAT Eva, BF (75) 

HENQUINET Céline, SNA institutions, BN, SecSec (75) MAHE Antonin, Conseiller municipal de Paimpol, AF MJS (22) MASSIN Mireille, CA section (75) 

NICOLAS Olivier, SN Outre-Mer, 1er fédéral (974) PICARD Estelle, CN (79) 

QUINQUETON Denis (75) 

STEPHAN Véronique (75) 

STOHCEMENT, CF (75) 

YOLAL Erol (75) 

ZIADY Karim, Conseiller de Paris, CN (75)


 

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