Pour une vision renouvelée de la sécurité


Thème : Sécurité


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Vouloir être en sécurité, s’inquiéter de la violence ou de la délinquance dans son quartier n’est en aucun cas une préoccupation réactionnaire. Elle est une revendication légitime, en lien avec le principe fondamental de l’égalité entre les individus. De tout temps, corollaire de la pauvreté et de la précarité, l’insécurité a menacé les plus défavorisés. En témoignent les études d’opinion qui illustrent que la sécurité fait partie des enjeux prioritaires, y compris chez les électeurs de gauche.

Cette insécurité mine notre société. Parce qu’elle est un authentique fait social, et non seulement un « symptôme », elle renforce la fracture sociale en répandant la méfiance et la peur. Il n’est pas donc concevable que le sujet de la sécurité soit laissé à d’autres.  

Une politique de sécurité « de gauche », qui ne céderait ni à l’angélisme ni à la démagogie liberticide, est néanmoins à inventer. Les socialistes peuvent faire valoir une expérience et un bilan sur ce sujet au gouvernement ou dans leurs responsabilités locales. Cette expérience nous permet d’affirmer que, sur la sécurité, la surenchère est démagogique, dangereuse et surtout inefficace. Protéger les Français nécessite un engagement constant et déterminé.

De prime abord, il est important de rappeler le rôle de la prévention de la délinquance, qui n’est ni un discours laxiste, ni une justification aux comportements délictueux. C’est une exigence républicaine qui nécessite l’engagement de toutes et de tous au plus proche : police, justice, éducation nationale, acteurs associatifs et secteur médico-social, élus locaux...

Toutefois notre discours ne peut se limiter à un volet préventif.  Face à une délinquance difficilement maîtrisée et en hausse, c’est le traitement de toute la chaîne pénale, de l’enquête jusqu’à l’exécution des peines, qu’il faut interroger tant sur les méthodes que sur l’approche de la délinquance. L’enjeu est de restaurer la crédibilité de notre système pénal qui épuise les professionnels et les démotive, alors même que son efficacité est mise en cause dans l’opinion publique. Plus que jamais, les nouvelles menaces qui nous entourent nécessitent également de concilier deux valeurs attendues d’une justice bien faite : protéger les principes et les libertés de l’État de droit sans sacrifier la sécurité.

Par conséquent, la confiance de la Nation dans sa police et sa justice et la qualité des relations entre elles constituent une nécessité opérationnelle autant qu’un enjeu républicain.

La difficulté est qu’aujourd’hui, ces deux piliers de la production de la sécurité sont traversés par un profond malaise. Comment assurer la sécurité des citoyens si les deux institutions qui la garantissent ne parviennent pas à assumer leurs misions ?

Un nouveau continuum de la sécurité est donc à construire pour que forces de l’ordre et justice travaillent dans la complémentarité et la confiance.

Cette nouvelle pensée autonome et démocratique de la sécurité repose néanmoins sur trois prérequis :

  • Le renouvellement de la méthode en privilégiant les lois de programmation qui fixent un cadre budgétaire, opérationnel et stratégique, stable et crédible ;
  • La prise en compte du critère de la temporalité en partant du constat que le profond malaise ne peut pas se régler en quelques mois ;
  • La simplification des procédures autour d’une clarification des règles et des rôles respectifs des acteurs de la chaîne pénale tout en garantissant l’effectivité des droits des victimes et des prévenus.

 

I – Faire de la police un véritable service public enraciné dans la société

La police et la gendarmerie assurent une mission de service public ; et c’est en ce sens, seul, que leur rôle doit être pensé. Cependant ces agents, davantage exposés à la violence que par le passé et soumis à une pression opérationnelle inédite avec des moyens qui ne suivent pas, traversent une véritable crise, qui met en péril le bon fonctionnement de ce service. De plus, les affaires de violences policières impactent l’image de la police au point que la confiance que les français accordent à leurs forces de l’ordre s’érode. De leur côté, les agents ont le sentiment d’être traités injustement par les médias et, plus largement, par la population.

Les réponses à ce malaise doivent être déclinées à plusieurs niveaux.

 

♦ Redonner la priorité à la proximité 

Si un retour à la culture de la police de proximité s’avère aujourd’hui nécessaire, celle-ci doit être réinventée sur de nouvelles bases et en tenant compte des évolutions intervenues notamment le développement des polices municipales.

Toutefois la restauration du lien entre population et forces de l’ordre ne pourra se faire sans traiter la question des effectifs des policiers et des gendarmes et les moyens de mener à bien leur mission. De plus, le renouveau de la police de proximité ne prendra tout son sens qu’avec celui des autres services publics et du secteur associatif.

 

♦ Mieux articuler les forces d’État et les polices municipales

Les maires ont compensé le désengagement de la police nationale sur le terrain par le recours à la police municipale. Leurs prérogatives ont été accrues. Des progrès considérables ont été réalisés dans leur organisation (niveau de recrutement, encadrement, formation…). Cependant cette évolution, qui conduit les agents eux-mêmes à revendiquer le statut de « troisième force de sécurité intérieure », ne s’est pas traduite, dans la pratique, par le développement d’une réelle complémentarité entre les forces municipales et les forces de l’État.

La promotion d’une véritable coproduction de sécurité paraît possible par le biais de l’outil des conventions de coordination dont la négociation doit être améliorée et par une meilleure implication des polices municipales dans les dispositifs locaux de sécurité publique.

Toutefois les polices municipales sont inégalement réparties sur le territoire et elles ont un coût. Les communes les plus démunies, souvent celles qui connaissent un taux élevé de délinquance n’en sont pas pourvues. Dans ces territoires difficiles, la complexité de la délinquance nécessiterait une police de proximité d’Etat dont les effectifs doivent être renforcés et dont les actions doivent être articulées avec les services spécialisés de la police nationale.

 

♦ Revaloriser le métier des policiers 

La politique du chiffre, initiée sous Nicolas Sarkozy, constitue une pression quotidienne sur les forces de l’ordre entraînant mal être et perte de sens. Cette souffrance au travail doit donner lieu à une réponse globale. Elle doit prendre en considération les questions de revalorisation salariale, d’effectivité des congés, de révision du système de promotion, d’allègement des tâches administratives et d’accompagnement psychologique…

 

♦ Renforcer la formation initiale et continue 

La formation ne répond pas suffisamment aux nouveaux défis que doivent affronter quotidiennement les forces de l’ordre. Par conséquent, le temps de formation en école doit être augmenté en diversifiant les stages (notamment auprès de la justice et des milieux associatifs) et en axant davantage sur l’accueil des victimes.

La priorité doit être accordée à la formation continue pour permettre aux agents d’être plus en phase avec les évolutions sociales et techniques (notamment sur la cybersécurité).

 

♦ Repenser l’organisation administrative

La création des Directions Départementales de la Police Nationale, réforme en cours, vise à unifier les services de Police de chaque département sous une direction unique. Contrairement à l’objectif annoncé, elle aboutira à un affaiblissement de la police judiciaire ou de la police des frontières dont une grande partie de la capacité opérationnelle risque de basculer sous l’autorité du directeur départemental et, par voie de conséquence, sous celle du préfet.

Redessiner la carte territoriale des forces de sécurité suppose une conjugaison entre les spécificités des territoires, des missions, la proximité et bien sûr l’efficacité.

Il faut surtout consolider la chaîne managériale à tous les niveaux hiérarchiques et élaborer une nouvelle politique des ressources humaines davantage centrée sur les parcours professionnels.

 

♦ Renforcer les liens avec la justice

Les agents expriment parfois un découragement face aux suites judiciaires données aux enquêtes qui ne sont pas, selon eux, à la hauteur des efforts qu’ils déploient. Force est pourtant de constater que notre système judiciaire n’a jamais autant condamné et prononcé de peines aussi lourdes.  

Il existe du côté policier une forte méconnaissance de l’appareil judiciaire. Il pourrait à cet effet être envisagé de mettre en place, au cours de la formation initiale des agents, des stages d’immersion réciproques qui faciliteraient la compréhension mutuelle et permettrait aux uns et aux autres de découvrir les contraintes qu’ils rencontrent.

 

II – Restaurer l’efficacité et la crédibilité de la réponse pénale

La justice, par l’acte même de juger, constitue un acteur essentiel de la paix au sein de la société, donc de sa sécurité. Le rôle de la justice va toutefois au-delà, car elle est la garante de l’État de droit et des libertés publiques ; elle marque aussi les limites fixées dans une démocratie à la façon de produire la sécurité. C’est donc autour de cette double mission que doit se construire une nouvelle approche de la réponse pénale.

 

♦ Donner les moyens à la justice de répondre à ses missions

Le manque de moyens de la justice est devenu chronique. Au niveau européen, la France affiche même le plus petit nombre de procureurs (3 pour 100 000 habitants), plaçant ainsi le ministère public, acteur essentiel de la chaîne pénale, dans une situation de tension sans équivalent.

Face à cette paupérisation de la justice, il faut inévitablement augmenter son  budget mais le retard ne pourra pas être comblé en quelques mois. Tout en portant une loi de programmation budgétaire avec une vision sur 10 ans, des mesures rapides doivent être prises comme la déjudiciarisation de certains délits notamment routiers au profit de l’autorité administrative.

Dans le même sens, la légalisation de l’usage du cannabis est une question qui reste à trancher.

 

♦ Redonner un sens aux peines prononcées

Malgré un accroissement des poursuites pénales et une sévérité croissante des juridictions ainsi qu’un recours à la détention provisoire plus significatif, les taux de récidive restent élevés, interrogeant sur le sens de la peine prononcée. Cette dernière ne doit pas se limiter à une sanction par privation de liberté d’un comportement délictuel ou criminel. Elle doit également, en garantissant un suivi individualisé et pluridisciplinaire, favoriser la réinsertion de l’auteur et réduire les risques de récidive. Le sens de la peine devrait donc être davantage au centre des réflexions du législateur.

Pour cela, il convient de faire de la réinsertion un objectif prioritaire de lutte contre la récidive. Elle doit se décliner sous plusieurs aspects : la vie professionnelle, la santé, la formation, la vie sociale et citoyenne. 

Cette conception repensée de la peine nécessite un renforcement très substantiel des moyens à la disposition du milieu ouvert et des SPIP.

 

♦ Porter une réforme ambitieuse sur le statut du travail en prison.

Le travail en prison est un outil efficace de réinsertion. Toutefois on ne peut pas demander à des détenus de respecter la société, de pouvoir se réinsérer en elle, si on nie leurs droits et leur dignité. L’objectif doit donc être de rapprocher le travail en détention du droit commun (reconnaissance d’une rémunération décente, de droits en matière de santé et de sécurité au travail ou de droits collectifs avec des modalités d’exercice compatibles avec l’état de détention…).

 

♦ Limiter le prononcé de courtes peines qui contribuent à la surpopulation carcérale

Les professionnels s’accordent pour dire qu’une peine d’emprisonnement courte ne permet ni d’agir sur le comportement de l’individu, ni sur la récidive, ce dernier ne disposant pas du temps nécessaire pour s’engager dans un parcours de formation ou s’inscrire dans un parcours sérieux de prise en charge criminologique.

Il conviendra un jour de s’interroger sur la pertinence d’interdire, comme en Allemagne, le recours aux courtes peines d’emprisonnement. En attendant, il est nécessaire de réfléchir sur un mécanisme rénové de sursis avec mise à l’épreuve.

 

♦ Introduire un mécanisme de régulation carcérale

La France doit faire face à une grave surpopulation carcérale inscrite dans la durée. La population détenue atteint au 1er octobre 2022, 72 350 détenus, pour 60 700 places dans les 188 établissements pénitentiaires.

La lutte contre la surpopulation nécessite la mise en place de mécanisme de régulation carcérale. Le critère utilisé pourrait être celui d’un seuil de criticité pour chaque établissement pénitentiaire. Ce seuil correspondrait à une situation de suroccupation majeure, c’est-à-dire à un taux d’occupation à partir duquel les services de l’établissement ne sont plus en mesure de fonctionner sans affecter durablement la qualité de la prise en charge des condamnés et justifiant des mesures de sorties.

 

♦ Renforcer la présence des SPIP en juridiction

Les SPIP doivent davantage être présents en juridiction afin, d’une part, de garantir une prise en charge immédiate des condamnés à l’issue de l’audience de jugement et, d’autre part, de renforcer leurs liens tant avec les juges correctionnels qu’avec les JAP. A ce titre, l’organisation d’une permanence du SPIP dans chaque juridiction devrait être généralisée.

Cette proposition suppose une révision du fonctionnement des SPIP qui reposent sur des horaires de bureau, quand, à titre de comparaison, la police ou les services pénitentiaires tiennent des permanences continues. 

 

♦ Promouvoir le milieu ouvert

De nouvelles alternatives à la détention doivent se développer. De même, le suivi des condamnés en milieu ouvert doit être profondément repensé et densifié pour garantir à la fois une prise en charge pluridisciplinaire et un contrôle plus structuré du respect des obligations fixées par le juge.

Afin de donner une plus grande efficacité à la politique de probation, la création d’une agence nationale de prévention de la récidive et de la probation, compétente à la fois en milieu ouvert et en milieu fermé, représentée dans les établissements, permettrait d’apporter aux juridictions pénales une offre de prise en charge de qualité.

 

♦ Promouvoir la justice restaurative

Il est essentiel de reconstruire le lien social par le dialogue auteur/victime et prévenir la récidive en donnant plus de place à la justice restaurative, aujourd’hui encore marginale et mal connue en France.

C’est pourquoi, il conviendrait de créer dans chaque SPIP un ETP dédié à l’organisation des programmes de justice restaurative, de créer une ligne budgétaire spécifiquement dédiée, de mieux former les magistrats et d’informer systématiquement les auteurs d’infractions et les victimes.


Signataires :

Gulsen Yildirim, Secrétaire nationale à la justice, 1ère Secrétaire fédérale de la Haute-Vienne, Vice-présidente du conseil départemental 87, Conseillère municipale de Limoges,

Dylan Boutiflat, Secrétaire national adjoint, Luc Charpentier, Secrétaire fédéral (12), secrétaire de section, Christiane Constant, 1ère Secrétaire fédérale (69), Yann Crombecque, membre du CN, adjoint au maire Villeurbanne, Dieynaba Diop, Porte-parole du PS, Membre du CN, Conseillère régionale Ile-de-France, Isabelle Dahan, Secrétaire nationale adjoint, 1ère Secrétaire fédérale adjointe, Stéphane Delautrette, Député de la Haute-Vienne, Olivier Ducourtieux, Secrétaire fédéral (87), Conseiller municipal de Limoges, Michèle Edery, Membre du CNC-CNE, Secrétaire fédérale (Rhône), Maire Adjointe déléguée, Conseillère métropolitaine, Mélina Elshoud, Secrétaire nationale, Conseillère départementale (Sarthe), Thierry Génard, Secrétaire fédéral (87), Olivier Guckert, 1er Secrétaire fédéral de la Meuse, Céline Hennequin, Secrétaire nationale, Céline Hervieu, Secrétaire nationale, Conseillère déléguée à Paris, Secrétaire de section, Aline Jeudi, 1ère Secrétaire fédérale (03), Yves Le Pape, membre du Bureau fédéral (69), Stéphane Massias, Secrétaire fédéral (87), Membre du CN, Sylvain Mathieu, 1er Secrétaire fédéral (58), Conseiller Régional Bourgogne Franche Comté, Lysandre Merlier, Secrétaire fédéral (87), Membre du CN, Corinne Narassigin, Secrétaire nationale à la coordination, Valentin Nervet-Palma, Animateur MJS (87), Yannick Ohanessian, 1er Secrétaire fédéral Bouches du Rhône, Adjoint au maire de Marseille, Conseiller départemental, Myriam El Yassa, 1er Secrétaire fédérale (25), Secrétaire nationale, Estelle Picard, Secrétaire fédérale (79), Membre du CN, Dominique Raimbourg, 1er Secrétaire fédéral (44), David Ros, 1er Secrétaire fédéral de l’Essonne, Sarah Kerriche, 1ère Secrétaire fédérale du Nord, Conseillère régionale, Eric Sargiocomo, 1er Secrétaire fédéral des Landes, Conseiller régional, Yannick Trigance, Secrétaire national, Conseiller régional


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