Réaction du Parti socialiste suite aux annonces de la Première ministre Élisabeth Borne concernant la mise en place du service public de la petite enfance

- Mardi 6 juin 2023

Céline HERVIEU, secrétaire nationale Petite enfance et Famille

 

Des annonces insuffisantes et parfois même en contradiction avec les besoins énoncés sur le terrain


Suite au rapport de l’IGAS en avril dernier, la Première Ministre Elisabeth Borne, lors d’un déplacement le 1er juin 2023 a réalisé plusieurs annonces concernant le lancement du nouveau projet de SPPE (Service Public de la Petite Enfance) en France, issue du Conseil National de la Refondation et des travaux du Comité de filière installé en 2021, sous la présidence de Mme Elisabeth Laithier. L’accueil du jeune enfant de 0 à 3 ans constitue une priorité en matière de lutte contre les inégalités femmes / hommes, mais est aussi une priorité absolue pour garantir à chaque enfant un éveil dans des conditions qualitatives dès le plus jeune âge.

Les annonces d’hier ont suscité beaucoup de déception de la part des acteurs du secteur et des organisations syndicales : cessons avec les annonces de communication et passons aux actes !


La priorité uniquement portée sur la création de places est en contradiction avec les difficultés actuelles du secteur !


La « garantie » d’accueil du jeune enfant présentée par le gouvernement masque en réalité le refus d’en faire un réel service public, associé à une obligation de la part de l’Etat de garantir réellement un mode d’accueil, ce qui passerait par un droit opposable en cas de non-solution d’accueil. Le gouvernement s’y refuse, car il sait que les moyens annoncés sont insuffisants pour répondre à cette demande. La capacité d’accueil est en effet un enjeu important car aujourd’hui seules 60% des demandes d’accès à un mode de garde au niveau national sont satisfaites, avec par ailleurs des inégalités sociales fortes dans l’accès à ces modes de garde : 68% d’enfants en bénéficient parmi les 20% de ménages les plus riches contre 9% parmi les plus pauvres.


Avec quel professionnels le gouvernement compte-t-il créer ces 200 000 places supplémentaires ?


L’augmentation du nombre de places de crèches en France, si elle constitue donc un objectif important, apparaît aujourd’hui en contradiction avec la situation particulièrement tendue que nous rencontrons actuellement dans les établissements du fait du manque de professionnels formées et disponibles pour répondre aux besoins.

La création de 100 000 places requiert déjà l’embauche de 20 000 professionnels supplémentaires : comment le gouvernement compte recruter ces professionnels dans la situation de pénurie actuelle que nous traversons ?


Rappelons les chiffres : D’ici 2030, 120 000 assistantes maternelles partiront à la retraite et il manque actuellement 10 000 professionnels au sein des crèches !


Nous faisons face à une pénurie historique de professionnels dans ce secteur, lié à l’augmentation de l’offre de places, mais également car l’importance de ces métiers pour le développement de nos générations futures a été sous-estimée depuis tant d’années. Ces métiers, très majoritairement féminins, essentiels, qui ont été sollicités durement pendant la crise sanitaire et bien avant cela, n’ont pas été reconnus à la hauteur de l’utilité sociale qui est la leur.


Une approche territoriale qui ignore les efforts réalisés par les collectivités depuis tant d’années au services des familles


L’accès à un mode de garde en France est très hétérogène selon les départements et les communes. Le financement renforcé pour les collectivités les plus en difficultés pour créer de nouvelles places d’accueil est un aspect positif, cependant, cela revient dans le même temps à ne pas soutenir et encourager les collectivités qui, elles, ont fait depuis des années des investissements financiers colossaux pour faire vivre ce service public de la petite enfance sur leur territoire. L’État annonce une enveloppe supplémentaire de 5,5 milliards d’euros d’ici la fin du quinquennat, en direction des communes. Ces financements supplémentaires seront bienvenus, nous déplorons cependant le fait que cela soit prioritairement fléché dans une perspective de création de places supplémentaires, et non pour rénover le parc existant, ou encore améliorer les conditions salariales des professionnels, qui constitue un des freins majeurs aujourd’hui à l’accueil du jeune enfant par le manque de personnel.


Aucune annonce concrète pour renforcer la qualité d’accueil


Le rapport IGAS a été très clair dans ses recommandations : la qualité d’accueil passe non seulement par la qualité de la formation des professionnels mais aussi par le cadre dans lequel sont accueillis les enfants : le nombre de m2 disponible par enfant, l’accès à un espace extérieur, le ratio d’encadrement des adultes pour chaque groupe d’enfant ainsi que la taille de ces groupes d’enfants, la qualité de l’alimentation proposée dans les structures, la qualité du matériel mis à disposition, la qualité de l’air dans les sections etc. En dehors des enjeux de gouvernances et de l’augmentation du nombre de contrôles, aucune mesure concrète n’est proposée sur ces aspects de qualité d’accueil. Par ailleurs, nous regrettons le fait qu’aucun mot de soit prononcé sur les départements qui jouent également un rôle majeur, et en faveur du renforcement du réseau des PMI (Protection maternelle Infantile) sur le territoire, ces PMI jouent un rôle essentiel dans la prévention pour la santé des enfants et l’accompagnement à la parentalité. Elles devraient également être au cœur de ce nouveau service public de la petite enfance.


Le big bang attendu dans les financement des modes de garde n’a pas eu lieu !

Dans ces annonces, le gouvernement ne remet pas en cause le système de financement notamment de la PSU, qui avait été pointé comme dysfonctionnel par le rapport IGAS. Ce système de financement s’éloigne de l’objectif de qualité d’accueil, en incitant les établissements à accueillir toujours plus d’enfants dans une logique de suroccupation pour ne pas perdre d’argent. Cette logique de suroccupation est contraire à l’idée d’un service public universel, qui n’a pas vocation à créer d’excédents budgétaires. Ce système de PSU doit donc être rapidement remis en question, ce qui n’est absolument pas prévu par le gouvernement. Il souhaite au contraire l’étendre à l’ensemble des départements. En la matière, Paris est une des très rares communes à résister encore à cette injonction. Le rapport IGAS préconise lui « un financement des établissements par contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens ».


La formation professionnelle doit être le fer de lance d’une politique d’accueil du jeune enfant qualitative. Le ratio de 40% de professionnels diplômés et de 60% de non diplômés doit s’inverser pour garantir un accompagnement adapté pour les enfants et permettre aux professionnels diplômés d’être aux côtés des professionnels qui ne disposent pas de titre professionnel spécifique, sans que cela ne constitue une charge de travail supplémentaire trop importante. Nous ne parviendrons pas à ces objectifs d’accueil, sans lancer un grand plan de formations avec les régions pour augmenter le nombre de formations et attirer les jeunes générations vers ces métiers pour construire la génération professionnelle de demain.


Les professionnels sont insatisfaits de ces annonces et seront dans la rue le 6 juin prochain pour le faire savoir !

Face à ces annonces, les syndicats de professionnels, le collectif « Pas de bébés à la consigne » et le SNPPE, ont déjà annoncé qu’ils seront mobilisés le 6 juin dans la rue pour protester contre la vacuité des propositions du gouvernement face à la gravité de la situation traversée par le secteur. Les organisations syndicales ont le sentiment que le seul objectif du gouvernement est de répondre à un objectif de plein emploi, et de rassurer les marchés sur la disponibilité de la main d’œuvre à travers leur possibilité d’accéder à un mode de garde : le secteur de la petite enfance ne doit pas être réduit à un enjeu de garde d’enfant ! C’est un mépris supplémentaire pour tous les professionnels qui œuvrent au quotidien dans ce secteur.


Accroître l’offre d’accueil ne sera qu’un vœu pieux si nous ne prenons pas à bras le corps la question de la revalorisation de ces métiers, cela passe par une revalorisation salariale notamment, ainsi que par l’évolution des représentations sur les exigences de ces métiers et l’importance qu’ils revêtent dans notre société auprès des enfants et de leurs familles. Cela ne pourra pas se faire non plus sans, à terme, poser la question des modalités de financement de ce service public.

Veuillez vérifier votre e-mail pour activer votre compte.