Thème : Notre avenir socialiste
Chèr(e) camarade,
En politique, comme dans toute l’Histoire humaine, au commencement était l’espoir, l’espoir d’une vie organisée, sociale et harmonieuse. On ne peut pas faire de politique sans porter d’espoir, or c’est précisément ce qui nous manque aujourd’hui. L’espoir nous manque parce que des crises majeures et inédites nous pressent : la crise énergétique, la crise climatique et la crise de la biodiversité. L’espoir nous manque parce que, depuis 1989 et la chute de l’empire soviétique, le libéralisme a gagné le monopole de l’organisation économique. L’espoir nous manque, encore, parce que la crise sanitaire liée à l’émergence du coronavirus a bouleversé nos modes de vie et réduit nos espérances, particulièrement celles de la jeunesse. L’espoir nous manque, enfin, parce que la paix est désormais remise en cause sur le continent européen.
Le Parti Socialiste se veut pourtant porteur d’une espérance collective. Par conséquent, il est le premier perdant de ces crises apparemment insurmontables. Sa parole est discréditée.
Pourtant, le chemin existe pour lui rendre sa force et sa dynamique. Nous devons impérativement, pour retrouver de la crédibilité dans nos propositions, les inscrire dans un cadre conceptuel nouveau qui tâche de répondre aux crises existentielles mentionnées plus haut.
Retrouver notre crédibilité
Un citoyen averti des difficultés du monde peut-il être convaincu par les propositions socialistes ? La réponse est simple : non. Nous avons besoin de crédibilité, plus de crédibilité, encore de la crédibilité !
Nous pensons que les propositions socialistes sont bonnes ; nous ne devons abdiquer aucune de nos convictions sociales et de progrès. Mais comment expliquer que notre programme ait si peu convaincu, lors des échéances électorales de 2022 ?
Nos propositions n’apportent pas de solution aux défis majeurs de notre temps. Elles ne résolvent pas la crise énergétique ou la crise climatique, par exemple, ni ne feront advenir à nouveau la paix sur le continent européen. Elles ne sont pas suffisamment incarnées dans ces enjeux existentiels. Elles sont donc souvent perçues comme irréalistes, ingénues ou insuffisantes.
Par conséquent, il est indispensable de répondre aux enjeux majeurs de notre temps avant même de pouvoir développer une offre politique plus détaillée.
Gardons notre foi dans le progrès, mais encadrons-la par une série de propositions volontaristes et innovantes, qui s’attaquent directement aux grands enjeux du siècle et qui nous amèneront à une société de sobriété, de liberté et de solidarité, valeurs les plus indispensables à la perpétuation de l’Humanité.
C’est à cette condition qui nous pourrons recouvrer notre crédibilité politique, et susciter à nouveau l’espoir.
Imaginer une société sincèrement durable, et en prendre le chemin
Afin d’apporter une réponse à la crise écologique, pensez-vous qu’il faille envisager la décroissance ou bien devons-nous continuer à développer les activités humaines ?
Nous répondons qu’il faut sortir de ce débat, trop caricatural, et envisager les deux options simultanément. La question que nous souhaitons poser est : « Où faut-il décroître et où faut-il (encore) croître ? »
Récemment, le gouvernement a prétendu mettre en avant la sobriété. Est-ce un changement de paradigme ? Absolument pas. Les propos de Mme Borne en témoignent¹ : [les mesures proposées sont] « une réponse pour l’urgence et un rempart contre des mesures plus contraignantes ». Dont acte.
L’écologie et la société de consommation ne sont pas actuellement compatibles.
Pour dépasser cette opposition, nous proposons la Société du Choix. Continuons à croître dans les domaines essentiels (alimentation biologique, santé, recherche scientifique) et assumons de réduire notre consommation dans d’autres secteurs (par exemple dans le transport aérien) parce que notre mode de vie actuel n’est pas compatible avec une société durable.
Mais comment vivre de manière plus sobre tout en conservant pleinement notre libre-arbitre ? Nous devrons innover et changer notre société en profondeur. Par exemple, le crédit énergie-carbone² est une nouvelle forme d’imposition, par laquelle chaque citoyen sera encouragé à réduire sa consommation d’énergie personnelle et ses émissions carbone.
Ce qui pourrait apparaître à première vue comme une contrainte permettra à l’inverse d’atteindre une organisation durable de notre société, de ré-enthousiasmer l’action politique et par conséquent de croire à nouveau dans notre avenir commun.
Articuler le long terme et le court terme
Nombreux sont ceux qui affirment que le temps n’est plus à la demi-mesure, que l’urgence est absolue. Toutefois, personne ou presque ne propose de mesure d’exception comparables par exemple à celles qui ont prévalu en temps de Covid. Nos concitoyens sont d’ailleurs dans la même forme de paradoxe : ils se plaignent souvent de l’inertie supposée du personnel politique, tout en produisant régulièrement aux élections des résultats conservateurs !
Nous pensons que l’on peut initier certains bouleversements, à condition de les projeter dans le temps long, et qu’ils seront acceptés par nos concitoyens.
Chaque mesure politique concrète que nous proposerons à court terme devra être adossée à un projet de réforme de notre société très ambitieux à long terme. Une double exigence s’impose : l’objectif de long- terme devra être défini avec une grande rationalité, pour le rendre aussi crédible que possible, tandis que la mesure concrète, la première marche, devra être aussi acceptable que possible sur le plan politique.
La technologie ne nous sauvera pas
Alors que la crise écologique est irréversible pour une grande part, ce qui la différencie des autres désordres (économiques, conflits militaires, etc.), il est tentant de penser que la science et la technologie nous permettront de dépasser ces problèmes. Il n’en est rien.
Les scientifiques sont parmi les premiers à nous mettre en garde, depuis six décennies, sur l’évolution du climat ou l’état des ressources naturelles. Ceci doit nous alerter. En effet, les scientifiques sont les mieux placés pour savoir ce dont la science est capable ou non. En particulier, les progrès scientifiques nous permettent de mieux utiliser les ressources, mais en aucun cas d’en inventer de nouvelles. Rien ne se perd et rien ne se crée !
Méfions-nous donc des charlatans qui, par ignorance ou intérêt, nous promettent en permanence des solutions technologiques aux problèmes écologiques.
Ainsi du véhicule électrique. Tel qu’il est présenté aujourd’hui, il n’est pas une solution à la surconsommation d’énergie ; c’est même l’inverse. Contrairement au véhicule thermique, il présente l’inconvénient majeur d’utiliser l’électricité, une forme d’énergie qui a subi de nombreuses transformations avant d’être injectée dans le moteur, chacune s’accompagnant de pertes (notamment dans la centrale électrique : 2/3 de pertes). Un véhicule électrique consomme ainsi plus d’énergie primaire qu’un véhicule thermique. Avec l’essor du véhicule électrique, la crise énergétique est donc amenée... à s’aggraver ! Pire : là où l’électricité est massivement produite à partir de charbon, un véhicule électrique produit même plus de CO₂ qu’un véhicule thermique. Ce gaz est produit au niveau de la centrale électrique et pas au niveau du véhicule lui même, mais l’impact climatique est évidemment le même.
Pour dire les choses autrement, l’électrification des usages est susceptible d’entraîner une hausse de la consommation d’énergie primaire, et elle n’est en aucun cas une avancée vers un avenir plus durable.
Le problème est similaire avec le véhicule à hydrogène.
Un outil pour un avenir plus durable : l’exemple du solaire thermique
Du fait de la guerre en Ukraine, le continent européen est secoué aujourd’hui par une énorme crise énergétique. Celle-ci est potentiellement prémonitoire de ce que sera la société de demain, où l’énergie va progressivement se raréfier et se renchérir. Des usages qui nous semblent extrêmement familiers (chauffer notre logement, se rendre à la piscine) seront probablement remis en cause.
Le solaire thermique est un mode renouvelable et décentralisé de production d’énergie : les panneaux, installés sur le toit d’un bâtiment, peuvent assurer le chauffage et la production d’eau chaude.
Pratiquement absent des débats sur l’énergie, en France, le solaire thermique ne présente pourtant que des avantages. Jugez plutôt. Les panneaux disposent d’un excellent rendement, de l’ordre de 80 %, quand les panneaux photovoltaïques affichent un rendement de 10 à 15 % ; il est en effet beaucoup plus facile de produire de la chaleur que de l’électricité. Par ailleurs, la production des panneaux ne demande aucun matériau rare ou stratégique : ils sont simplement constitués de métal pour capter le rayonnement et de tubes en verre dans lesquels circule de l’eau. Ils sont donc extrêmement simples à recycler. Enfin, le solaire thermique dispose d’un gisement de production gigantesque. En effet, le résidentiel-tertiaire représentait en 2020 une consommation de pratiquement 800 TWh sur un total de 1600 TWh, soit la moitié de la consommation d’énergie en France³. Et, dans le résidentiel, le chauffage et la production d’eau chaude sont responsables de 3⁄4 de la consommation d’énergie⁴.
Le Parti Socialiste serait donc bien inspiré de proposer un grand plan concernant le développement du solaire thermique en France : obligation d’installation sur les bâtiments neufs, équipement des bâtiments énergivores (piscines, gymnases, bâtiments industriels), aides financières, coopération de l’État avec les grands acteurs français (Engie, EdF, Bouygues), développement d’un réseau de PME, etc.
Déduire de ce constat notre nouveau positionnement politique, à long terme
Pour pouvoir exister à nouveau, le Parti Socialiste français va devoir se démarquer à la fois de la gauche radicale de M. Mélenchon et du capitalisme néo-libéral de M. Macron. La bonne nouvelle, c’est que nous allons pouvoir le faire.
En France, dès l’origine, le socialisme de Jaurès était réformiste et arrimé à la République. Un siècle plus tard, il n’y a aucune raison de ne pas continuer à distinguer fermement socialisme et communisme. Au contraire, le XXe siècle a été la démonstration systématique et permanente de l’échec du communisme : tous les régimes collectivistes se sont soldés par des échecs économiques et des dérives dictatoriales insupportables. Que dire du Venezuela, de la Chine, de la Russie ou de la Corée du Nord ?
De fait, le Parti Socialiste français doit fermement réaffirmer sa différence de fond avec toute forme de collectivisme. Nous devons brandir haut la valeur liberté.
À l’autre bout de la gauche du spectre politique, nous devons également nous démarquer du libéralisme mondialisé, qui épuise la planète. Existe-t-il un nouveau Jean Jaurès, qui saura couper le cordon entre socialisme et libéralisme ? Démonstration est faite de l’inanité d’un modèle qui fonde le partage des richesses sur la croissance : épuisement des ressources énergétiques, surconsommation, montée des tensions géopolitiques, dérive climatique, appauvrissement des sols, élévation du niveau de la mer, etc. N’en jetons plus. Il n’y a que ceux qui ne veulent pas voir qui ne comprennent pas le problème.
Au Parti Socialiste français, par conséquent, nous devons porter la valeur sobriété et nous démarquer ainsi des libéraux, incarnés par M. Macron.
En conclusion, nous postulons qu’il existe un espace politique extrêmement large entre la gauche radicale et le libéralisme traditionnels. Il reste à occuper cet espace, le faire vivre et le développer. Au travail !
Un nouveau contrat avec la ruralité
Nous devons agir contre « l’archipélisation » de notre territoire, une évolution foncièrement anti- républicaine, et rétablir la possibilité d’un avenir partagé par tous. Il faut établir un nouveau contrat avec la ruralité.
La mobilité en milieu rural en est un aspect. Tandis que les grands centres urbains, denses, développent les réseaux de transports en commun, les zones rurales peuvent tirer parti de l’espace dont elles disposent : combiner une installation de production électrique renouvelable décentralisée et des véhicules électriques de puissance et autonomie moyennes. Décarbonation, autonomisation et gain de pouvoir d’achat à la clé !
Défendre la jeunesse
Nous ne devons pas prendre à la légère la « génération Greta Thunberg » qui dénonce avec raison les excès de la société moderne. La jeune suédoise a beau jeu de dénoncer les formules creuses, car jamais suivies d’effet, de nos dirigeants, les tautologies comme « il n'y a pas de planète B », les promesses vagues et lointaines comme « l’économie verte » ou la « neutralité carbone en 2050 »...
Nous avons l’impérieuse obligation de prendre en compte le désarroi de notre jeunesse, en faisant preuve d’imagination !
Un positionnement contrasté et riche sur l’Europe
Depuis plusieurs décennies, la construction de l’Union Européenne suscite bien des critiques. En résumé, nous dirons que cet espace politique n’est pas « économiquement neutre », puisqu’il instaure la libre concurrence comme l’un de ses principes fondateurs. Or, nous souhaitons précisément sortir d’une approche purement libérale de l’économie, et avancer vers un espace politique plus solidaire. La gestion cruelle de la crise grecque, à partir de 2015, nous montra qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir ! Nous devons affirmer et répéter, haut et fort, que le fonctionnement actuel de l’UE ne nous convient pas.
Cependant, les violentes crises subies ces dernières années ont paradoxalement fait évoluer le fonctionnement de l’UE, comme jamais auparavant. Après 2008, la politique monétaire non conventionnelle de Mario Draghi à la tête de la BCE a permis de maintenir à flot les dettes publiques des états européens. En 2021, la crise sanitaire a permis l’avènement du premier emprunt commun européen, qui semblait absolument impensable auparavant. Récemment, la guerre en Ukraine pourrait enfin faire advenir un projet cohérent de défense européenne. Ces évolutions majeures vers une Europe plus solidaire ont en commun d’avoir suscité, et de susciter encore, des réticences allemandes. Nous, socialistes français, devons pousser notre avantage dans l’amélioration du fonctionnement de l’UE.
La Terre se meurt
En 2022, la forêt amazonienne s’approche de la catastrophe irréversible. Dans les océans, les récifs coralliens subissent pleinement le réchauffement climatique et blanchissent. Ici même : la France (et l’Europe) brûlent ! Comment est-il possible que nous hésitions encore à agir ?
¹ Document de synthèse du plan sobriété
² Crédit énergie carbone : taxer individuellement la consommation des produits les plus polluants, à partir d’un certain seuil. Les personnes modestes ne paieront rien ; les plus fortunés paieront beaucoup. Il s’agit d’une forme de « TVA » ciblée et progressive.
³ Chiffres publics, disponibles sur www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr
⁴ Idem, sur expertises.ademe.fr
Signataires :
Michèle Christophoul - membre titulaire du Conseil national, Sylvette Thirionet - membre titulaire du Conseil national, Jean-François Thil.