Si la République ne parle pas à la jeunesse, qui lui parlera ?


Thèmes : Jeunesse et République


Être au rendez-vous de l’idée républicaine et de l’héritage socialiste ou comment conforter la pertinence de la liberté absolue de conscience dans une période où semblent s’imposer les notions de communautés, d’appartenance religieuse importée, d’origines réelles ou supposées ? Que la République soit attaquée, c’est dans la nature des choses. Qu’elle ne soit pas défendue pose question.

La parole politique est en crise tant nous souffrons moins de complexité que de confusion. Lorsqu’on est de gauche, on ne peut à la fois manifester avec le CCIF et proclamer son soutien aux femmes, aux hommes, à la jeunesse d’Iran ; combattre le port du voile et sa charge d’asservissement là-bas et considérer qu’il serait un signe « d’embellissement » ici.

La République ne parle pas, mal, peu ou plus à la jeunesse. C’est la responsabilité du parti de Jean Jaurès qui s’adressait à la jeunesse de s’emparer de cette question qui n’est plus un totem mais deviendra, à force, un tabou. La République est comme une langue vivante, si on ne la pratique pas, elle devient une langue morte.

Une jeunesse face à elle-même.

« J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. »1

S’il suffisait de proclamer des principes, l’affaire serait entendue. La jeunesse parce qu’elle est l’avenir du monde est le cœur de tout projet. Mais, on ne parle pas de la même manière à ceux qui sont inquiets et pour lesquels toutes les proclamations semblent lointaines : « le droit du pauvre est un mot creux ».

Une approche de la jeunesse peut être aisée : une tranche d’âge ; un état ; une promesse. Elle renvoie souvent à une image d’Épinal d’insouciance. Elle devient contrastée en fonction des réalités : étudiant, apprenti, jeune travailleur, jeune agriculteur, chômeur, jeune parent ; des disparités territoriales entre urbains, rurbains, ruraux… ; des déterminismes familiaux, sociaux, des moyens financiers, de l’emploi. Ainsi, le Programme des Nations Unies pour le Développement Humain mesure l’accessibilité d’un jeune à un moyen de transport, un établissement scolaire, un lieu de culture, une offre sportive, un centre de santé pour dire les inégalités : «le développement humain consiste à donner aux populations les moyens de trouver et d’emprunter les chemins qui les mèneront à une vie riche de sens, ancrée dans l’expansion des libertés »2.

Un spectre contemporain pèse comme une loi d’airain : la peur de l’avenir. Les décrocheurs sont 80.000 à sortir sans qualification. 700.000 jeunes vont faire leur entrée sur le marché du travail. Le taux de chômage a augmenté de 1,3% chez les moins de 25 ans, atteignant 17,3 % au 2ème trimestre 2022. Les plus jeunes, soit les 10-15 ans,3 sont inquiets face au changement climatique (48%), la pauvreté (42%), le terrorisme (31%). 56% considèrent que le monde de demain sera moins bien que celui d’aujourd’hui, les jeunes filles étant les plus pessimistes.

La COVID-19, cette inconnue. Au début de la crise, les jeunes ont pu ressentir comme une punition le confinement, Ils ont été ensuite stigmatisés comme irresponsables. Or, l’impact a été fort en matière de précarisation financière, de santé psychologique4 : plus de 50 % des jeunes sont inquiets pour leur santé mentale ; 30 % des jeunes ont renoncé à l’accès aux soins faute de moyens ; 38 % de jeunes travaillent dans le cadre d’un contrat précaire ; un jeune sur six a arrêté ses études après la crise. Pour les étudiants, cela s’est traduit par une précarité alimentaire et une perte de pouvoir d’achat, avec un coût de la vie en hausse.

Le suffrage universel, un droit creux ? Considérée comme l’accession à l’exercice des droits du Citoyen, la participation électorale est marquée par une abstention forte dans la population en général, chez les jeunes en particulier. Près de 9 jeunes sur 10 ont boudé les urnes lors du premier tour des régionales et départementales, avec 87% d'abstentionnistes chez les 18-24 ans et 83% chez les 25-34 ans.5 41% des jeunes se seraient abstenus au second tour de la présidentielle et 69% au premier tour de la législative.

Les valeurs d’entraide et d’engagement se vivent par des actes concrets comme les maraudes, l’humanitaire, l’action au plus proche avec le sentiment d’être utile et reconnu. Les débats autour de la COP 27 montrent un fort engouement, teinté de plus d’inquiétudes que d’enthousiasme. La question agitée dans le débat public : que laisserons-nous à nos enfants ? au lieu d’apparaître comme une prise de responsabilité du monde adulte, est comprise comme l’annonce d’un avenir compromis. Le terme de « sobriété » résonne mal pour une jeunesse confrontée à la précarité.

Génération écran. Cette troisième révolution industrielle et comportementale axée sur le numérique a des conséquences sur le poids de la parole dite publique : 37% des jeunes de 10- 15 ans considèrent que ceux qui les inspirent le plus sont les influenceurs, 34% les chercheurs (qui passent à la télé), 7% les journalistes, 4% les personnalités politiques…6.

Ce changement induit des rapports à l’autre inédits avec une babélisation du langage qui construit des rapports chaleureux et aussi excluants et l’ubérisation de la violence. Les faits sont nombreux, qui vont de querelles virtuelles anodines à des conséquences dramatiques : rejet, exclusion, moqueries, harcèlement, qui peuvent engendrer accidents, appels au meurtre et meurtre. L’affaire Mila démontre à l’extrême ce processus. Une vidéo, vue des millions de fois, suscite plus de 100.000 messages de haine et de menaces de mort. Le meurtre de Samuel Paty obéit aux mêmes processus de déformation d’une information relayée par un non-témoin dont l’arme est d’abord la diffusion sans contrôle mais non sans retransmission. Il pourrait sembler baroque d’aborder la question par un truisme : la vie n’a pas de prix. Dans le cas tragique de Samuel Paty, la vie avait en l’occurrence un coût, de 300 à 350 € pour désigner la victime.

Prendre en compte ces données permet de mesurer le travail devant nous et éviter la séparation entre des univers qui loin de s’ignorer devraient interagir.

Notre responsabilité de socialistes, conforter l’émancipation.

Les grandes structures de l’éducation populaire, de la défense des libertés, du droit des étrangers, de la contraception et de l’éducation à la sexualité, du champ syndical et associatif sont traversées par des approches communautaristes et désertent peu à peu le champ de l’universel, sous le coup de boutoir des offensives identitaires des intégrismes religieux, de la radicalisation islamiste, que personne ne confondra avec la foi qui est de l’ordre de la sphère privée en République.

L’École, sanctuaire ou passoire ? « Enseigner, c’est envoyer des messages aux étoiles. »7

L’élève est, comme nous le proclamons, au cœur du projet d’émancipation. Or, le modèle français développe un système qui a peu d’attention pour tout ce qui n’est pas le modèle général, notamment vis-à-vis des filières professionnelles, synonymes d’échec tant pour l’élève que pour l’enseignant. Nombre d’enseignants témoignent que la formation initiale des maîtres est souvent vécue comme autocentrée avec des professeurs qui forment des professeurs.

Peut-on tout enseigner à l’école ? Nous en sommes là ! Une enquête menée pour le Comité National d’Action Laïque auprès des enseignants apprend que dans le cadre de l’enseignement du fait religieux, 37% déclarent s’être déjà autocensurés dont 53% en Réseau d’Éducation Prioritaire. Les enseignants sont exaspérés, parce que les jeunes sont assignés ou s’assignent à une origine, entre juifs et musulmans, couleurs de peaux.

Nombre d’enseignants témoignent de difficultés : « C’est compliqué d’enseigner la Shoah. Être laïque, c’est perçu comme être raciste » dit un enseignant en IUT. Les enseignants ne sont pas suffisamment formés à ces situations, particulièrement les professeurs d’histoire et de lettres. Des pressions viennent autour de demandes de pause, de salles de prière, certes une minorité, mais qui exerce un pouvoir. De plus, ceux qui ont été envoyés dans les établissements dans le cadre de la Réserve Citoyenne de l’Éducation nationale n’ont pas été ou peu formés. Plutôt que d’enseigner le fait religieux, il faut enseigner la Laïcité. Nous ne manquons pas d’outils.

Retrouver une langue commune, au sens propre, comme au sens figuré. Sous les coups de boutoir de la revendication identitaire, la société française finira par ne plus parler la même langue. L’apprentissage de la langue à l’école et son usage dans la société doit retrouver un sens pratique : pouvoir communiquer avec l’autre, pouvoir soutenir un entretien d’embauche, pouvoir s’exprimer dans un milieu professionnel et être comme l’observait Jean Zay un instrument d’émancipation : « Presque aucune part n’est réservée à l’enseignement de la parole proprement dite ; l’écolier apprend à lire, à écrire, à compter, à raisonner, non à parler… Les écoliers seront dans la vie la proie de quelque bavard, expert au langage courant. ».

 Le sport, mélange ou séparation ? À la différence de l’École, la pratique sportive participe d’un choix volontaire. Elle est un moyen de progresser dans sa propre vie, par rapport aux autres. Elle met en jeu un impensé bien visible : son corps et le corps de l’autre, aujourd’hui sujet à interdits. Il ne faut pas négliger le fait d’apprendre à se blesser, à se relever, à perdre, à rebours de la culture de la gagne, trop souvent valorisée et à se mélanger. C’est un creuset de la vie en société.

Des éducateurs et présidents de clubs déplorent les nombreuses concessions sur la mixité notamment, les horaires, les vestiaires. Les éducateurs se posent nécessairement des questions sur ce qui a échappé à la société et qu’ils constatent. De la même manière, la société sportive et la société devraient être attentives aux signaux qu’elles envoient. Par exemple, la Coupe Africaine des Nations des banlieues. Quels sont les effets entre un évènement sportif et le fait d’assigner des jeunes à des origines réelles ou supposées ? De même, pour les créneaux réservés aux jeunes filles et aux femmes, dans nos équipements municipaux, qui loin de leur permettre de profiter d’un loisir les enferment.

En ce domaine, s’exprime une demande forte de retour de l’État, qui doit poser un cadre commun à l’ensemble des fédérations, clubs, éducateurs, parents, soutenir les initiatives d’endiguement, par exemple, s’il n’existe pas d’offre féminine, le club ne sera pas intégré au sein d’une Fédération. Enfin, il y faut des moyens, à la fois humains, matériels, financiers constants sauf à se reposer sur des bonnes volontés qui s’épuisent.

Y-a-t-il un creuset républicain ? Plusieurs étapes ont marqué la volonté de combler le « vide » né de la suspension du Service dit National, sociologiquement et géographiquement inégalitaire. Au-delà des différentes formules, Journée Défense Citoyenneté, Service civique indemnisé, il faut interroger la composition sociologique. En 20198, 42% de jeunes ont le bac, 33% un diplôme supérieur, 8% un CAP et 17% sont sans diplôme, sans évoquer le Service National dit Universel. Le principal défaut de ces mesures, c’est qu’elles concernent presque toujours le segment sociologique le plus intégré et engendrent une multitude de dispositifs. En revanche, il s’agit de reconnaître et de valoriser un parcours citoyen qui prend de multiples formes à tout âge, à l’instar de nos collectivités locales qui créent un passeport citoyen qu’il conviendrait de généraliser.

La République est une fête ! La République souffre de ne pas être visible. Pour reprendre un trait d’humour, la République, c’est comme la Sainte Vierge, pour y croire, il faut de temps en temps des apparitions ! Certaines de nos communes organisent des cérémonies pour les jeunes diplômés, apprentis, qu’il faut élargir à tous les parcours de réussite, y compris dès le plus jeune âge. Il en va de même pour les primo-votants pour lesquels les cérémonies devraient être systématisées. Il faut créer des fêtes civiques et des cérémonies civiles, réinventer des rites de partage, comme l’acquisition de la nationalité qui n’est jamais un acte anodin lorsque l’on vient de loin et que l’on décide de poser ici son présent et son avenir.

Une histoire mondiale de la France9. Celle-ci est malheureusement interprétée à l’aune des assignations à résidence et sujette à tentative de réécriture. Le rapport à l’histoire est clairement menacé par une tendance venue d’Outre-Atlantique, avec le wokisme, la cancel culture, la volonté de réinterpréter le passé au profit d’une vision du genre, de la race supposée. Le respect de l’individu dans sa singularité et sa protection, la projection dans l’Universel sont des modes de déclinaison de la devise républicaine, à l’heure où la confusion marque les esprits et la lumière manque parfois à certains étages du débat public.

A suivre...

Bâtir une société de l’égalité, reste une promesse socialiste. L’universalisme postule l’existence d’une unité du genre humain, au-delà de la diversité de l’humanité. Cette notion transcende la vision d’individus définis ethniquement, religieusement, socialement, sexuellement. La République est un arrachement aux dogmes du ciel et à la terre des préjugés.

Avec comme projet l’émancipation matérielle, sociale et morale de la jeunesse pour qu’elle forge les moyens de conduire son destin. À cette tâche, il ne faut admettre aucune entrave. On nous attend !

« Instituer la République, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. » 10

 

1 Paul Nizan, Aden-Arabie, [ed. Rieder,1931], 1968.

2 PNUD 2020

3 Sondage IPSOS auprès des 10-15 ans, octobre 2021.

4 Rapport parlementaire fait au nom de la Commission d’enquête pour mesurer et prévenir les effets de la crise du covid-19 sur les enfants et la jeunesse, décembre 2020.

5 Enquête Ipsos/Sopra Steria

6 Sondage IPSOS, octobre 2021.

7 Philippe Mangeot, Professeur de Lettres.

8 Source Institut National de la Jeunesse et de l’Éducation, 2019.

9 Histoire Mondiale de la France, sous la direction de Patrick Boucheron, Seuil, 2017.

10 Jean Jaurès, Discours à la jeunesse, Lycée d’Albi, 30 juillet 1903.

 


Signataires :

  • Pascal Joseph, conseiller délégué du 20ème arrondissement de Paris ;
  • Benoît d’Ancona, conseiller délégué de Bègles ;
  • Frédéric Léveillé, Maire d’Argentan, Conseiller Départemental et Emilie Menou…
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