Faire du numérique une chance pour tous

Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021

La dématérialisation complète de certaines démarches publiques ou prestations sociales marque un tournant dans la vie numérique des français. Le « tout numérique » accélère encore et sera omniprésent dans nos démarches quotidiennes : accès aux soins, à l’emploi, à l’énergie, au services bancaires, etc.L’usage d’internet devient une obligation qui expose les cinq millions de nos concitoyens en fragilité sociale et numérique à un risque rapide d’exclusion.La fracture numérique territoriale vient parfois s’ajouter à cette difficulté de l’illectronisme. La disparité entre les zones dites urbaines à forte densité et les zones rurales dites « blanches » peu denses et peu peuplées s’accélère.

Il est possible de faire du numérique une chance pour presque tous, et éviter l’exclusion de nos concitoyens les plus fragiles. Cela démontre, par-delà l’enjeu de cohésion sociale, qu’investir dans l’inclusion numérique et l’aménagement de notre territoire présente un bénéfice conséquent pour toute la communauté ... Notre résolution est une invitation de plus à agir massivement sans attendre. Nos convictions proposent d’engager une approche renouvelée de la problématique.

Il n'y a pas un illectronisme, mais des illectronismes

Le numérique est porteur de promesses d’amélioration de la qualité de vie, d’inclusion sociale, d’augmentation des connaissances et des capacités en chacun. Il doit être aujourd’hui synonyme de progrès pour tous.Pourtant, 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise. Si la France est dans la moyenne européenne, la situation n’est pas satisfaisante.

Il n'y a pas un illectronisme, mais des illectronismes ou plutôt un élargissement de l'illettrisme dans une société numérisée. Cela signifie que face au numérique nous sommes tous en partie illettrés. Pour qui pratique de manière un peu avancée les moyens numériques, il est aisé d'observer le nombre de difficultés que n'importe qui peut rencontrer pour utiliser ces moyens en comprenant ce qui se passe. Un exemple illustre cela : la circulation des

données personnelles à partir de l'usage quotidien d'un smartphone. Un autre exemple permet de comprendre que de nombreux réglages d'un appareil numérique ne sont pas du tout aisés à réaliser, si tant est que l'on comprenne comment ils peuvent s'effectuer, mais parfois simplement comprendre ce qu'il signifie. Trop souvent réduite à la possession des matériels, l'illectronisme est en fait ailleurs, c'est à dire dans la possibilité de la relation entre l'humain et la machine. Or depuis de nombreuses années, ceux qui conçoivent ces appareils et leurs logiciels n'ont de cesse de rendre invisible les soubassements du fonctionnement des machines au profit de leur "usage en un clic", effectué sans réfléchir et surtout sans savoir quelles en sont les conséquences.

Les personnes en situation de handicap, qui représentent une personne en exclusion numérique sur cinq, subissent une double peine. Si les sites en ligne doivent être théoriquement accessibles, seulement 13 % de démarches administratives leur étaient, en avril 2020, réellement accessibles.Les personnes détenues, les patients hospitalisés sans leur consentement, et les étrangers sont davantage encore des exclus du numérique, tout comme les personnes illettrées (2,5 millions), car le numérique est textuel.Quelle que soit la forme, l’exclusion numérique constitue un handicap majeur dans une société toujours plus numérisée. L’accélération de cette évolution avec le confinement et le développement du télétravail rendent encore plus urgente l’inclusion numérique du plus grand nombre. Face à une société hyperconnectée, ceux qui en sont exclus ont le sentiment d'être des citoyens de deuxième zone. L'humiliation vire parfois à la colère.

Pendant le confinement de l’année 2020, l’éducation nationale a basculé dans le tout- numérique, outil de la continuité pédagogique. Les inégalités entre élèves et enseignants se sont révélées, soulignant la carence d’une obligation de formation au numérique du corps enseignant. Or, contrairement à une idée reçue, les jeunes, les millenials, y compris les étudiants, manquent également de compétences numériques.Le numérique, s’il peut à la marge, mieux garantir les droits sociaux en repérant les bénéficiaires potentiels, constitue, pour les bénéficiaires réels, un obstacle croissant d’accès à leurs droits. Malgré des efforts récents, les opérateurs offrent rarement des outils de repérage des fragilités numériques et de proposition de formation au numérique.Les exclus du numérique se tournent de plus en plus, pour garantir leurs droits sociaux, vers les travailleurs sociaux qui, dans 75 % des cas, effectuent des démarches à la place de l’usager, et vers les bénévoles des associations d’aide aux personnes en grande précarité, qui sont de plus en plus débordés. Plus la dématérialisation s’accélère, plus la demande d’assistance numérique croît.

L’illectronisme, dont les conséquences sur le pacte social sont dévastatrices, a longtemps été sous-estimé. L’appropriation du numérique s’est faite, tant par les professionnels que par le grand public, par autoformation. Nous sommes tous des autodidactes sur Internet. Chacun est supposé savoir utiliser des outils numériques vendus comme « simples », voire « intuitifs ». Cependant, si le risque d’illectronisme a été pointé par Lionel Jospin dès 1999, les pouvoirs publics ont longtemps considéré que l’équipement numérique suffisait, et en ont fait leur priorité.

Le plan de relance, présenté en septembre 2020, acte d’ailleurs l’insuffisance des moyens initialement alloués à la stratégie nationale pour un numérique inclusif et sa faible ambition

Des inégalités territoriales fortes

Si l’épisode du Covid-19 n’a fait qu’inviter le télétravail à s’implanter durablement dans la culture des entreprises concernées, il est alors évident que l’impact sur les Français et leurs désirs de mobilité n’en sera que renforcé. Cette décentralisation de la population depuis les villes vers les zones moins denses soulève des enjeux considérables pour un pays aussi centralisé que la France. Parmi ces enjeux, le réseau est un facteur de premier ordre, puisqu’il est la substantifique moelle sans laquelle le travail à distance serait tout bonnement impossible à mettre en place. Or, l’ensemble du territoire français est-il paré pour cela ?

Car c’est bien là où le bât blesse. Tous les territoires ne sont pas égaux en matière de connectivité, loin s’en faut. En France en 2020, plus de 98 % des logements français ont théoriquement accès à internet. Mais près de la moitié d’entre eux n’ont pas accès à une connexion performante. Pour preuve, le très haut débit n’est pas encore un acquis. Seuls 68,4% des logements français sont éligibles au Très Haut débit (>30 Mbit/s) et 52,9% au réseau de fibre optique.

Les zones peu denses, voire blanches, qui concernent 18 % de la population française, subsistent et sont encore loin de posséder une connexion de qualité suffisante pour bénéficier des droits – et non plus des avantages – de la révolution numérique. Il convient alors de rassembler les différentes parties prenantes telles que les fournisseurs, les opérateurs télécoms, le gouvernement, les autorités locales et les entreprises afin de remédier au problème.Le télétravail, l’école à domicile, chômage partiel et les loisirs ont en effet entraîné une explosion des usages professionnels et de la consommation personnelle telles qu’elle a mis en péril la résilience des réseaux, particulièrement dans des zones rurales pauvres en connectivité et équipement.

On assiste ainsi à un paradoxe : une politique de développement de l’économie numérique peut renforcer la fracture numérique si les interventions sur les usages ne sont pas complétées par des interventions compensatrices sur les infrastructures dans les zones peu denses. Il faut donc soutenir le développement des solutions les plus pertinentes techniquement et économiquement (fibre optique, solutions satellitaires, très haut débit mobile...), en complément de l’action des collectivités territoriales pour les zones les moins denses, afin de favoriser l’accès au très haut débit sur l’ensemble du territoire à terme.

5 propositions pour agir massivement

Afin de répondre aux enjeux de l’inclusion numérique et de construire des politiques d’aménagement et d’équipement à la mesure de l’ampleur de la situation, nous proposons d’engager une approche renouvelée de la problématique, en collaboration avec l’ensemble de la puissance publique, les acteurs de proximité, les opérateurs et les professionnels.

Cela exige de construire une démarche nationale fondée sur des dispositifs territoriaux pour guider vers l’autonomie celles et ceux qui le peuvent, proposer un accompagnement soutenu pour les plus fragiles et réduire les disparités territoriales tout en assurant un financement pérenne de ces actions.

Une logique 100 % accessible.

À cet effet, il faut conserver la faculté d’un accès physique et/ou d’un accueil téléphonique pour l’ensemble des démarches dématérialisées des services publics. Un droit à l’erreur doit être reconnu pour toute démarche numérique. La conception des sites internet doit prendre en compte dès leur conception l’accessibilité la plus large en intégrant notamment le point de vue des usagers tout au long du développement et de l’exploitation d’un site numérique public. L’État se doit d’être exemplaire. Le label « e-accessible » doit être rendu plus visible et chaque administration doit évaluer son niveau d’accessibilité. Les sanctions en cas de non-respect de la mise en accessibilité des sites internet doivent être renforcées. Les administrations doivent être incitées à utiliser pleinement les ressources du fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) pour rendre accessibles leurs sites et applications internet.

Une filière de la médiation numérique

Il convient d’accroître la qualité de l’offre de médiation numérique, en passant d’une logique d’assistance – où le médiateur fait à la place de la personne formée –à une logique capacitaire – tendant à l’autonomie numérique. L’urgence est donc, en parallèle du développement du pass, de forger une véritable filière professionnelle de médiateurs numériques, par le lancement d’un plan national de formation et par une meilleure reconnaissance du métier de médiateur numérique. Une qualification professionnelle « médiation numérique » pourrait notamment être créé.

Pour une meilleure coordination de l’action publique, la politique d’inclusion numérique doit englober tout le champ social et tous les opérateurs sociaux (Pôle emploi, CNAM, CNAF, CNAV, MSA....), qui doivent systématiquement proposer un dispositif de type « pass numérique ».

Un véritable droit à la connexion à Internet

Le droit à la connexion à Internet, introduit par la loi pour une République numérique et expérimenté depuis 2017 dans trois départements doit être étendu à tout le territoire. Une gratuité d’accès à certains services numériques essentiels à l’exercice des droits civiques et sociaux ou l’enseignement doit être instaurée.

Pour construire ce volet d’inclusion au numérique des personnes à faibles revenus, il est nécessaire de décliner une action de proximité en s’appuyant sur les acteurs de majeurs de la Solidarité que sont les Départements. Un chèque-équipement, destiné à la location ou à l’achat d’un équipement de préférence reconditionné pour les ménages à bas revenus pourrait être généralisé, en complément d’une formation.

La lutte contre l’obsolescence, matérielle ou logicielle, programmée doit renforcer les sanctions prévues et pourrait passer par une dissociation des mises à jour correctives et des mises à jour évolutives.

L’inclusion numérique : service d’intérêt économique général.

L’État, doit accompagner les acteurs de proximité qui doivent prendre en charge les publics fragilisés par la dématérialisation totale des démarches administratives.Les acteurs privés bénéficient quant à eux du fait qu’une large partiede la population est aujourd’hui à l’aise avec les usages numériques. Au-delà d’une contribution à un enjeu sociétal, cela leur permet de renforcer leurs stratégies numériques dans les échanges avec leurs clients (achat et paiementen ligne, dématérialisation...). Il serait naturel qu’une part des gains produite par cette numérisation des interactions soit réinvestie dans l’accompagnement solidaire des publics visés par l’e-inclusion.

Les moyens alloués dans le cadre du Plan de Relance seront probablement insuffisants pour atteindre le nouvel objectif de 4 millions formées d’ici 2022. En tout état de cause, cet objectif semble peu ambitieux, considérant que 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et que près d’un Français sur deux est mal à l’aise avec cet outil. Ces moyens alloués doivent par ailleurs être pérennisés dans un fonds de lutte contre l’exclusion numérique, politique publique ayant vocation à devenir structurelle. Le fonds pourrait être abondé par les gains budgétaires réalisés grâce à la dématérialisation des services publics, la taxe sur les services numériques (taxe GAFA) et une taxe sur le streaming.

Déployons les technologies réseau que nous maîtrisons déjà !

La 5G n’est pas seule : d’autres technologies réseau telles que le réseau étendu à définition logicielle (SD WAN), et les services à la demande font déjà leurs preuves incarnent autant d’outils réseau essentiels face à l’évolution de l’organisation du (télé)travail. En revanche, toutes doivent prendre appui sur une infrastructure à fibre optique. Car pour faire face à l’explosion de la demande en bande passante, il faut combiner des connexions de données dédiées avec des liens à haut débit peu onéreux au sein d’un vaste réseau. Ces solutions ne peuvent être mises en œuvre sans l’infrastructure réseau appropriée. Dans cette perspective, la fibre optique s’impose comme la clé de voûte permettant de panser une fracture numérique que ni la 5G, ni les artifices logiciels ne peuvent réduire seuls. L’urgence première concerne bel et bien le déploiement de la fibre, qui doit non seulement répondre aux objectifs fixés par le Plan Très Haut Débit pour 2025, mais surtout permettre à ces services de se développer sereinement sur l’ensemble du territoire français. C’est pourquoi les opérateurs doivent investir massivement dans les réseaux de fibre optique à très haut débit. Ainsi, sans une fibre optique de qualité et répartie équitablement sur tout le territoire, les services à la demande ou la révolution 5G n’auront d’égales que les disparités géographiques qu’elles alimenteront.

Signataires

Rémi CARDON, sénateur de la Somme,

Cindy AMOUSSOU, militante de la Somme,

Tarek BAÏS, militant de la Somme,

Françoise BEY, conseillère départementale du Bas-Rhin,

Dylan BOUTIFLAT, premier fédéral adjoint de Paris,

Jeremy CADART, militant du Nord,

Sylvette CHEVALIER, militante de la Somme,

Zohra DARRAS, militante de la Somme,

Fabrice DE CORMARMOND, secrétaire national au numérique du Parti Socialiste,

Romain DELAMOTTE, militant de la Somme,

Frédéric FAUVET, membre du bureau fédéral de la Somme,

Céline GEISSMANN, adjointe PS en charge du numérique à Strasbourg Bas-Rhin,

Lucas GRICOURT, militant du Bas-Rhin,

Josiane HEROUART, militante de la Somme,

Olivier JACQUIN, sénateur de la Meurthe-et-Moselle,

Camille LOPEZ, militant de l'Oise,

Romain MIDA, militant de l'Oise,

Alexandre OUIZILLE, militant de l'Oise,

Nathalie TERMERMANN, militante de la Somme,

Laure VINCENT, militante de la Somme

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