Une autre politique ferroviaire est possible


Thème : Transports


La crise écologique nécessite de changer nos paradigmes. Le secteur des transports est l’un des  principaux émetteurs d’émissions de gaz à effet de serre, et surtout celui dont les émissions ont le plus  augmenté ces dernières décennies. Alors que la voiture individuelle et son corolaire l’autosolisme restent  extrêmement majoritaires dans les déplacements quotidiens des Français et que leur pouvoir d’achat est  fortement grevé par le retour de l’inflation, il est fondamental de réorienter toute notre politique de  mobilité envers les modes les moins émetteurs et les plus sobres, et donc le ferroviaire. Les Français  ont d’ailleurs pris les devants : plus de 22 millions de billets de train ont été vendus cet été par la SNCF. 

Un record. 

Une politique macroniste faite d’à-coups 

Pourtant, pendant cinq ans, le gouvernement n’a pas véritablement agi pour renforcer le ferroviaire ; au  contraire : 

- La réforme de 2018 a parachevé la libéralisation du rail qui s’était déjà révélée une erreur pour  le fret. Mais pire, Emmanuel Macron a saisi cette opportunité pour se payer le statut des  cheminots alors que rien ne l’y obligeait, provoquant une grève et donc des conséquences  massives pour les travailleurs et les entreprises. De même, la transformation de la structure  juridique des composantes de la SNCF a été faite en adéquation avec cette vision libérale, les  EPIC devenant des sociétés anonymes… y compris SNCF Réseau qui ne répond à présent qu’à  des objectifs purement comptables dans le cadre d’une règle d’or budgétaire inique. 

- La loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 a introduit une programmation des  infrastructures en-deçà des besoins identifiés par le conseil d’orientation des infrastructures.  Pire, les régions ont été contrainte de faire introduire un article (182) afin de pouvoir demander  le transfert des « petites lignes » et ainsi les prendre en charge sur leurs fonds propres pour éviter  leur fermeture ! Ceci sans compter que toute tentative de parler du transport de marchandises a  été bloquée… 

- La loi climat de 2021 qui devait reprendre « sans filtre » les propositions ambitieuses, mais pas  révolutionnaires, de la convention citoyenne pour le climat et n’a fait que du service minimum. - Les projets de loi de finances se sont concentrés sur la reprise de la dette, contrainte par le  changement de statut (une SA ne pouvant être en déficit chronique), permettant à Bercy de  bloquer tout arbitrage en faveur du rail. 

Dans les faits, c’est le plan de relance pour limiter les conséquences de la crise sanitaire qui lui a permis  de sauver la face ; mais ce trompe l’œil ne doit pas nous duper. Bien sûr les millions destinés au train  de nuit et au fret ont été les bienvenus mais ils s’inscrivaient dans une stratégie française et européenne  prédéfinies, tandis que les milliards pour le réseau n’ont été qu’un rattrapage et une avance sur le  remboursement de la dette ; en aucun des crédits nouveaux par rapport à la programmation des  infrastructures de 2019.  

Pire, alors que l’urgence climatique n’a jamais été aussi prégnante, il a fallu attendre les ultimes  semaines du quinquennat précédent pour que soit présenté, avec deux ans de retard !, le nouveau contrat  de performance de SNCF Réseau. Ce contrat cadre n’est ni plus ni moins que le document qui détermine les investissements sur l’ensemble du réseau ferroviaire français pour la décennie à venir. Le  gouvernement a même réussi l’exploit de faire l’unanimité de tous les acteurs concernés contre lui :  Sénat, Régions de France, Alliance 4F, Association Française du Rail, associations d’usagers et même  l’Autorité de régulation des transports dont le président a qualifié le document d’« occasion manquée »  tant il maintient la tête de la SNCF sous l’eau financièrement, empêchant de fait une amélioration  conséquente de l’état du réseau. Dans ces conditions, il sera impossible de doubler la part modale du  train en 2030 comme le souhaite Jean-Pierre Farandou, PDG de la SNCF, et donc d’atteindre les  objectifs climatiques que nous nous sommes nous-mêmes fixés ! Alors qu’il revêt une importance  capitale, le journal Contexte révélait le 9 juin dernier que ce contrat avait été signé en catimini à quatre  jours du premier tour de la présidentielle, sans prendre en compte les remarques des acteurs précités.

Et aujourd’hui, alors que l’inflation est au plus haut, les trains du quotidien continuent d’être supprimés  et les plans de circulation modifiés tant l’entreprise ne peut faire face à l’augmentation des coûts et à la  pénurie de personnels. La SNCF a besoin d’argent et le gouvernement lui impose un bouclier  tarifaire sur ses billets sans lui donner davantage de crédits pour entretenir rails et rames

Cette véritable série en presque 10 épisodes démontre que la politique ferroviaire macroniste n’est  faite que d’à-coups alors qu’elle devrait être pensée et menée sur le temps long. Dernier exemple,  le double tête-à-queue opéré ces derniers mois, comme une nouvelle déclinaison du « en même temps ».  Un premier, en juillet dernier, lorsque le président Macron a remis en cause la priorité aux transports du  quotidien en annonçant la construction de quatre nouvelles lignes à grande vitesse. Si elles présentent de vrais intérêts, elles restent non financées et viennent déséquilibrer la programmation des  infrastructures de la LOM, déjà insuffisante. Pire, elles ne sont même pas traduites dans le contrat de performance ! 

Le second tête-à-queue est directement contenu dans ce document cadre : une très forte augmentation  des prix des péages ferroviaires, alors qu’ils sont déjà les plus chers d’Europe ! Après la crise des gilets  jaunes, la pandémie et ses confinements, et alors qu’il faut plus que jamais relever le défi climatique,  comment le gouvernement pense-t-il pouvoir relancer le ferroviaire en le rendant plus cher pour  l’ensemble des usagers ? 

Ne nous y trompons pas, s’il est appliqué en l’état, ce n’est pas seulement l’impossibilité de respecter la  parole donnée à propos de l’entretien des « petites lignes » (UIC 7-9) qui sera à constater mais bien la  mise en danger du réseau secondaire qui irrigue l’ensemble de nos territoires (UIC 5-6) ! 

Trois priorités pour une autre politique ferroviaire 

Dès lors, nous socialistes affirmons qu’une autre politique ferroviaire est possible. Elle s’articule autour  de 3 priorités.  

Priorité #1 : le réseau 

Seul un réseau entretenu, moderne, performant permet de faire rouler davantage de trains. C’est la clé  de voute du système ferroviaire. C’est pourquoi nous devons d’abord et d’urgence réviser le contrat  de performance de SNCF Réseau, changer le cadre qui dans lequel il s’écrit en supprimant la règle 

d’or et en permettant de nouveau à l’entreprise d’investir directement dans l’infrastructure, au-delà de  la modernisation. 

En parallèle il faut immédiatement ajouter 3Mds€/an hors inflation à la programmation des  infrastructures pour cesser le vieillissement du réseau et la mise en danger des petites lignes et lignes  « moyennes », pour vraiment le rénover et le moderniser et ainsi être au rendez-vous de nos  engagements climatiques. C’est ce que nos députés ont réussi à introduite dans le budget 2023, avant un  énième 49-3. 

Pour cesser avec le malthusianisme ferroviaire auquel nous sommes soumis par le dogme de la  rentabilité qui n’a pour conséquence que de fermer des lignes et réduire le nombre de trains, nous  demandons la création d’un contrat de service public ferroviaire sur le modèle de La Poste pour la  distribution de courrier. Pour être opérante, cette création s’accompagnera d’un changement complet de  la gouvernance de SNCF Réseau en supprimant la tutelle de Bercy, en réformant profondément les  objectifs de son bras armé qu’est l’Agence des participations de l’État, et en donnant bien davantage de  place aux régions au sein du conseil d’administration en ce qu’elles sont des acteurs incontournables de  la politique ferroviaire dans notre pays, encore plus depuis l’article 182 de la LOM. 

Fidèles à notre engagement en faveur de l’aménagement du territoire, nous réaffirmons notre soutien  aux projets de lignes à grande vitesse, notamment pour enfin relier Toulouse à Paris en 3h et ainsi  véritablement concurrencer l’avion. Mais nous l’affirmons, tout comme cela est le cas des projets de  RER métropolitains dans les grandes agglomérations de notre pays, ces investissements doivent être  complémentaires à ceux destinés au réseau existant ! 

Priorité #2 : Un choc d’offre pour le report modal et la décarbonation 

En parallèle des investissements massifs sur le réseau, nous proposons un véritable choc d’offre car la  première condition pour avoir davantage de voyageurs et de marchandises qui circulent à bord de trains,  c’est d’avoir plus de trains ! 

C’est la raison pour laquelle un effort tout particulier doit être fait sur le développement de la  commande centralisée du réseau et de l’ERTMS (système européen de signalisation). C’est avec ce  système que nous pourrons faire circuler et mieux réguler les trains sur les axes les plus saturés, comme  Paris-Lyon qui pourra accueillir 20% de trains supplémentaires ! mais également que la France pourra  enfin s’intégrer pleinement au réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Notre pays à la tradition  ferroviaire ancienne ne peut continuer à être à la remorque de ses voisins. A l’heure où l’Union  Européenne lance des plans de déploiement sur le fret et le train de nuit, nous sommes le seul pays de  l’UE avec la Lituanie à ne pas être doté de l’ERTMS ! 

Nous sommes favorables au développement du train de nuit en ce qu’il peut être est une véritable  alternative à l’avion, il ne faut en aucun cas qu’il se fasse au détriment du fret et surtout des travaux sur  le réseau dont les plages horaires sont déjà très faibles. 

Pour développer l’offre de transports de voyageurs nous devons également faire confiance aux  territoires. Les trains du quotidien sont notre véritable boussole et priorité. C’est pourquoi c’est en  lien bien plus étroit avec les régions que la SNCF doit mobiliser son parc roulant d’une part et d’autre  part que l’État doit lancer de grands projets de recherche pour la décarbonation de tous les trains et pour  l’électrification des lignes, qu’il doit assurer la souveraineté des données avec la création d’un MAAS national consolidant les MAAS régionaux permettant ainsi de se défaire de la mainmise des Gafam.  Enfin, parce que nous sommes profondément décentralisateurs, il faut permettre aux régions de choisir  leur système plutôt que de leur imposer la concurrence « quoi qu’il en coûte » et ouvrir le débat du  la possibilité pour les régions de bénéficier d’un versement mobilité additionnel afin de contribuer au  financement des transports régionaux. 

A ce titre nous dénonçons le fait que pour la première fois depuis 30 ans il n’y ait aucun volet  mobilités dans les nouveaux contrats de plan État-Région qui sont pourtant les véritables cadres  budgétaires et de programmation des investissements entre ces deux entités !

En parallèle, une grande réflexion doit être menée sur les gares. Elles doivent (re)devenir des lieux  de vie au croisement des différentes activités et de vrais lieux pour toutes les mobilités, en ville comme  en milieu rural, avec une véritable présence de services publics et de services au public ! Il faut  également développer plus massivement les gares intermodales pour faciliter les transferts entre vélos,  voitures, cars et trains en renforçant toujours plus la logique de réseau. 

Mais le transport ferré ce n’est pas que la mobilité des personnes. A l’heure de la transition énergétique  il faut soutenir bien plus fortement le fret ferroviaire, mais aussi le fret fluvial, en connectant nos  ports maritimes avec leurs hinterlands, en contournant certaines zones saturées (les nœuds ferroviaires)  notamment à Lyon… Nous proposons également d’étudier la possibilité d’engager une politique de  « discrimination positive » en se basant sur les externalités positives du rail face à la route. Il s’agirait  d’expérimenter des restrictions de circulation de poids lourds sur des axes routiers qui sont longés  par une autoroute ferroviaire ; par exemple Luxembourg > Perpignan. 

Priorité #3 : agir sur les prix 

Nous appelons à diminuer les prix des péages ferroviaires afin de rendre le train, de voyageurs comme  de marchandises, plus compétitif face à la route ; et d’abord concernant les poids-lourds. Cela sera rendu  d’autant plus facile que nous reviendrons sur une vraie application du principe pollueur-payeur avec  une écocontribution poids lourds (cf. contribution sur les autoroutes) 

Nous sommes résolument en faveur de la réduction du taux TVA de 10 à 5,5% sur les billets de  trains, et plus généralement de tous les transports en communs. Nos parlementaires la réclament à  chaque budget. Nous soutenons cette initiative qui donne un avantage compétitif aux transports  collectifs par rapport à la voiture, qui permet de diminuer les prix ou de limiter leur augmentation en  période de forte inflation et qui permet aussi de dégager des ressources financières pérennes pour  financer les nombreux investissements nécessaires au développement du transport collectif. Nous  affirmons que le milliard d’euros que cela représente doit être mobilisé sans attendre ! 

Concernant le ticket unique. Un débat naît après le succès de l’expérimentation allemande cet été du  ticket illimité à 9€, transformé bientôt en abonnement mensuel illimité à 49€/mois ; sur le modèle de ce  que nous avons porté dès 2015 en Ile-de-France avec le Pass Navigo uni-zone. Si l’idée est intéressante,  rappelons que cela ne concerne que les trains régionaux et que tant la Deutsche Bahn que les syndicats  ont tiré la sonnette d’alarme sur le manque de personnel, de trains adaptés (ils étaient bondés !) et l’état  du réseau. Aussi nous sommes favorables aux expérimentations et à la réflexion sur le sujet mais  nous appelons à la prudence en ce que la priorité doit être de garantir un niveau élevé de financements  pour les rails et le matériel. Tout bonus devra être utilisé pour garantir les meilleurs prix à l’ensemble  des voyageurs, mais pas au détriment des deux premières priorités. 

Conclusion 

C’est en partie à ces conditions que seront atteignables les objectifs du plan à 100Md€ sur 15 ans  présenté par Jean-Pierre Farandou le 13 juillet et que nous soutenons : 13Mds€ pour les RER  métropolitains, 15Mds€ pour la régénération du réseau, 10Mds€ pour la modernisation, 10Mds€ pour le  fret, le reste pour la construction de nouvelles lignes dont les LGV annoncées et jusqu’à présent non  financées. 

Alors que la Première Ministre lors de sa déclaration de politique générale disait vouloir faire du  ferroviaire la « colonne vertébrale de notre système de mobilités », force est de constater qu’elle est  victime d’une scoliose aigue. A nous, aux côtés des cheminots, des régions, des usagers et des  industriels, de remettre la politique ferroviaire sur de bons rails et de réinventer son modèle économique. 


Premiers signataires

Olivier JACQUIN, Sénateur, Secrétaire national aux mobilités et aux transports (54)
Renaud LAGRAVE, Vice-président de la région Nouvelle-Aquitaine chargé des transports (40)
Audrey GATIAN, Adjointe au maire de Marseille chargée des transports et du logement, Secrétaire  national adjointe aux mobilités (13)
Dominique BARJOU, Secrétaire nationale adjointe aux mobilités (94)
Gaston LAVAL, Secrétaire fédéral (75)

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